Prier Saint Patern pour conjurer la sécheresse, une assurance tout risque ?

« BZH = Bretagne zone humide », les clichés et moqueries sur la météo bretonne sont monnaie courante. Pourtant, à l’instar de l’année 1976, la péninsule armoricaine peut également être frappée par des épisodes de sécheresse. 1989 reste, à ce titre, une année noire pour la Bretagne et la télévision régionale rappelle qu’elle a été « une des  premières régions à souffrir de la sécheresse cette année et [que] cela continue » au début du mois d’octobre1.

Vannes : le château et les remparts. Au fond l’église Saint-Patern. Carte postale. Collection particulière.

Cette catastrophe météorologique ne peut que provoquer du désarroi dans les populations, notamment agricoles, comme le prouve les images de pâtures grillées par les rayons du soleil et sur lesquelles les vaches n’ont plus rien à brouter, ou bien ce champ devenu un vaste terrain poussiéreux au passage du tracteur. C’est ainsi que pour conjurer le mauvais sort, se développent des solutions plus ou moins originales. La palme revient certainement au diocèse de Vannes, où l’on prie saint Patern, « dont nul n’ignore les vertus pluvieuses » et « qui n’a pas l’habitude de faire la sourde oreille [et] répond toujours favorablement ». Après tout, il est vrai qu’on a bien prié dans ce même diocèse Saint-Vincent Ferrier pour lutter contre l’épidémie de grippe espagnole qui sévit à la fin de la Grande Guerre !

« En ce moment notre pays souffre de la sécheresse. Notre Eglise ne peut être insensible aux conséquences de cette pénurie d’eau comme à aucune détresse qui touche nos frères. »

L’invocation du curé de la paroisse Saint-Patern de Vannes, qui conserve les reliques du saint, est prononcée de la plus solennelle façon qui soit, lors de « l’office du soir », devant un parterre de 700 fidèles. Si le journaliste se demande si les prières « auront été entendues de saint Patern », il annonce que « la météorologie prévoit un week-end pluvieux sur la Bretagne ». De là à dire qu’avec saint Patern c’est « garanti ou remboursé », il y a un pas que franchit allègrement le curé en remémorant les invocations de 1976 : « la pluie est venue la semaine qui suivait ». En 1989, les délais semblent même s’être raccourcis, puisque « [la pluie] a commencé à tomber aujourd’hui ».

Pour originale que peut paraître la démarche, elle n’en est pas pour autant incongrue. On sait en effet que le christianisme qui s’est développé en Bretagne est très largement basé sur le rôle des saints – notamment locaux – dans l’intercession entre les fidèles et Dieu. C’est ainsi que chaque évêché a son saint fondateur et chaque paroisse son saint patron. On trouve également une multitude de saints protecteurs ou de saints guérisseurs. L’invocation de saint Patern pour stopper la sécheresse qui sévit encore à l’automne 1989 montre la pérennité des traditions religieuses, malgré la sécularisation déjà bien entamée de la Bretagne.

Saint-Patern, dessin d'étude de Xavier de Langlais (1934). Musée de Bretagne: 995.0067.1454..

En creux, ce reportage montre aussi qu’à cette époque, la répétition des épisodes de sécheresse n’est pensée que par le prisme d’un phénomène météorologique ponctuel, bien que la situation soit de plus en plus pénalisante pour une agriculture bretonne ayant évolué vers la culture de céréales demandant beaucoup d’eau, le maïs notamment. Cependant, si en 1976 la sécheresse s’arrête avec le retour progressif de la pluie au cours des mois de septembre-octobre, celle de 1989 joue les prolongations puisqu’il faut attendre novembre-décembre pour voir la pluviométrie s’améliorer un peu. Pour autant, les réserves souterraines sont loin de faire le plein au cours de l’hiver 1989.  Les restrictions d’utilisation de l’eau demeurent en vigueur dans 25 à 31 départements du bassin Loire-Bretagne. C’est ainsi qu’en 1990, malgré une pluviométrie correcte, la région pâtit encore du déficit en eau de l’année précédente et voit la sécheresse revenir. De nos jours, on observe une prise de conscience et l’idée que l’accélération du changement climatique conduira à voir se répéter de plus en plus fréquemment ces épisodes de sécheresse est entrée dans les esprits. Dès lors, saint Patern demeurera-t-il longtemps une assurance tout risque pour que la Bretagne conserve sa météo capricieuse qui veut qu’il fasse « beau plusieurs fois par jour » ?

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

1 « Messe de saint Patern pour faire venir la pluie », Rennes soir, FR3 Bretagne, 06 octobre 1989, en ligne.