Quand la Bretagne découvre Pinochet

Le 11 septembre 1973, le Chili connaît l’une des pages les plus tragiques de son histoire. Une junte militaire vient en effet de renverser le président socialiste Salvador Allende. Pendant plusieurs jours, l’actualité chilienne fait les grands titres de la presse française. A des milliers de kilomètres, on surveille avec attention l’évolution de la situation puisque l’on suspecte les Etats-Unis de soutenir les séditieux. C’est le cas du premier secrétaire du parti socialiste, François Mitterrand, qui accuse ouvertement « l’impérialisme américain » d’être à l’origine du soulèvement militaire1. Or, en pleine guerre froide, l’on craint que cette ingérence ne ravive les tensions entre les deux grandes puissances mondiales : l’URSS et les Etats-Unis. Du côté de la Bretagne, une autre information intéresse rapidement les journalistes. Il s’avère que l’un des chefs de la junte militaire, Augusto Pinochet, aurait des origines bretonnes.

La commune de Maroué compte de nombreux Pinochet. Carte postale. Collection particulière.

Au début du mois de septembre 1973, rares sont ceux qui ont déjà entendu parler du général chilien. Le 15 septembre, Ouest-France admet d’ailleurs ne savoir que « peu de choses sur la personnalité du nouvel homme fort du Chili »2. Une partie du mystère se dissipe dès le lendemain sur l’antenne de RTL qui vient d’obtenir en exclusivité un entretien téléphonique avec Augusto Pinochet. Ce dernier profite de l’occasion qui lui est offerte pour révéler qu’il possède des origines françaises. Ouest-France s’empresse alors de révéler à ses lecteurs que le militaire est « d’origine bretonne (à la quatrième génération) par son père et d’ascendance basque par sa mère »3.

Le lendemain, après avoir mené quelques recherches complémentaires, le quotidien rennais dresse une généalogie plus complète du « chef de la junte ». La famille d’Augusto Pinochet serait vraisemblablement originaire de la région de Lamballe et plus précisément des « communes de Maroué [et] de Saint-Aaron » où « Pinochet est un patronyme courant » 4. Pour confirmer cette hypothèse, Ouest-France s’appuie également sur le « mouvement d’émigration […] en direction de l’Amérique du Sud » qui toucha cette région à la fin du XIXe siècle5. La presse bretonne n’est pas la seule à s’intéresser aux origines du putschiste. Le Figaro révèle ainsi qu’il aurait lui-même ordonné des recherches sur ses ancêtres et qu’il aurait découvert que l’un d’entre eux « s’était embarqué pour Valparaiso à Saint-Malo en 1710 », bien avant le XIXe siècle 6.

Carte postale en faveur du peuple chilien, contre la dictature du général Pinochet. Collection particulière.

Au final, aucune réponse ferme et définitive n’est apportée par la presse bretonne durant le mois de septembre 1973. Il faut dire que la question des origines d’Augusto Pinochet n’est pas centrale dans le traitement de l’information. La Liberté du Morbihan ne lui accorde même aucune importance. Quant à Ouest-France, il exprime ses plus vives inquiétudes dès le 15 septembre. Le quotidien rapporte en effet que lors des émeutes qui touchèrent le pays un an plus tôt, le général chilien aurait déclaré qu’il « serait dangereux » qu’il fasse descendre ses soldats dans la rue « car, contrairement à la police, l’armée tire » 7. Qui plus est, l’homme ne cacherait pas son mépris à l’égard de la presse chilienne, estimant que « les journaux, de droite et de gauche, poussaient à la violence partisans et adversaires du président » 8. Le quotidien ne pensait pas si bien dire. L’arrivée au pourvoir d’Augusto Pinochet marque le début d’une dictature qui durera plus de deux décennies au Chili.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

1 « Les réactions après le putsch », Ouest-France, 14 septembre 1973, p. 4.

2 « Contrairement à la police, l’armée tire », Ouest-France, 15-16 septembre 1973, p. 4.

3 « Le général Pinochet : un Chilien d’origine bretonne », Ouest-France, 17 septembre, p. 4.

4 « Le chef de la junte : peut-être le descendant d’un émigré des Côtes-du-Nord », Ouest-France, 18 septembre 1973, p. 4.

5 Afin d’y exploiter « des gisements de guano ».

6 « Le chef de la junte : peut-être le descendant d’un émigré des Côtes-du-Nord », Ouest-France, 18 septembre 1973, p. 4.

7 « Contrairement à la police, l’armée tire », Ouest-France, 15-16 septembre 1973.

8 Ibid.