Un pont, ou plutôt trois, sur la Vilaine : la Roche-Bernard

La Vilaine est décidément le fleuve de tous les paradoxes. Se jetant dans l’Atlantique, entre Pénestin et Billiers, elle porte tout d’abord très mal son nom tant ses bords offrent de nombreuses et ravissantes promenades. Axe de communication vers les terres, elle est longtemps la porte d’accès à la mer de Redon, ville dont on oublie trop souvent qu’elle est fut un port actif, et de Rennes. Pour autant, voie de passage vers la Haute-Bretagne, elle se trouve aussi être un sérieux obstacle sur la route reliant Nantes à Vannes.

Carte postale. Collection particulière.

Quiconque emprunte aujourd’hui la nationale 165 reliant la préfecture de Loire-Atlantique au Relecq-Kerhuon, dans la banlieue de Brest, passe aujourd’hui au-dessus de la Vilaine sans même y prendre garde. Mais tel n’est pas le cas au XIXe siècle puisque ce fleuve constitue une barrière naturelle posant de gros problèmes. Aussi est-ce pourquoi nombreuses sont les localités du Morbihan, ainsi que le Conseil général, à réclamer à l’Etat la construction d’un pont. L’emplacement est d’ailleurs rapidement trouvé : la Roche-Bernard, petit chef-lieu de canton où les rives de la Vilaine sont les plus resserrées.

Le premier projet de pont émerge en 1834 et se caractérise par un cahier des charges d’une grande complexité. Son tablier doit en effet se situer à 33 mètres au-dessus des eaux afin que les voiliers – dont certains jaugent jusqu’à 300 tonneaux – puissent continuer à remonter le fleuve ! Long de 356 mètres, le pont suspendu enjambant la Vilaine est finalement inauguré le 28 décembre 1839. Mais la vallée de Vilaine, régulièrement exposée à de redoutables courants d’air, ne tarde pas à exposer l’ouvrage d’art à de difficiles conditions climatiques. Restauré en 1853 après qu’un coup de vent ait emporté une partie de son tablier, le pont est définitivement mis hors service par deux tempêtes, en 1870 et 1871, comme un triste symbole de l’issue de la guerre franco-prussienne !

Au tout début de la Troisième République, c’est donc en bac que l’on traverse la Vilaine à La Roche-Bernard. La situation n’est bien évidemment pas tenable et une passerelle provisoire est construite, solution provisoire qui, comme son nom l’indique trop souvent, dure. Il faut en effet attendre 1911 pour qu’un second pont entre en service. Erigé par l’entreprise parisienne Daydé et Pille, il met fin à une situation ubuesque : les voyageurs prenant le train de Nantes pour Vannes devaient en effet s’arrêter à la rive sud de La Roche-Bernard, s’attacher les services d’un voiturier qui transporte sur le bac leur voyages, pour ensuite remonter dans un train de l’autre côté de la Vilaine !

Carte postale. Collection particulière.

Résistant cette fois-ci aux forts vents qui balayent régulièrement le secteur, l’ouvrage d’art n’en est pas moins vulnérable au souffle de l’Histoire. Situé en lisière de la poche de Saint-Nazaire, le pont de La Roche-Bernard est préventivement miné par les Allemands. Malheureusement, un violent orage déclenche par inadvertance, le 15 août 1944, l’explosion et fait s’écrouler la travée centrale du pont. Après la reddition de la poche de Saint-Nazaire, le 11 mai 1945, la vie reprend son cours et, de nouveau, les voyageurs partant de Nantes pour aller à Vannes doivent emprunter un bac. Celui-ci est remplacé en juillet 1948 par un pont de bateaux, solution provisoire qui n’en accueille pas moins en 1954… le Tour de France ! Symbole de la lente et longue reconstruction de nombreuses villes bretonnes après la Seconde Guerre mondiale, le pont de La Roche-Bernard, troisième du nom !, est finalement ouvert à la circulation le 21 mai 1960.

Erwan LE GALL