La Bretagne face au défi de la houille verte

L’attraction touristique de l’été 2015 en Bretagne sera très probablement le lac de Guerlédan, situé à la frontière du Morbihan et des Côtes-d’Armor. En effet, le plus grand lac breton, qui sert de réserve d’eau pour un barrage hydroélectrique, est mis à sec afin de réaliser des opérations d’entretien. Les travaux de construction de cette usine électrique ont été réalisés entre 1923 et 1929, sous l’impulsion d’Yves Le Trocquer, député des Côtes-du-Nord et ministre des Travaux publics de 1920 à 1924. Aucune surprise de voir ce polytechnicien et ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées être « l’architecte » de ce grand projet, puisque dès le 9 septembre 1919, Henry Coutant journaliste à L’Ouest-Eclair, signait un article sur la « houille verte » en Bretagne, dans lequel il évoquait les projets de Le Trocquer, pas encore devenu un homme politique. Mais qu’est-ce qui se cache sous ce concept de « houille verte » ?

Carte postale. Collection particulière.

Yves Le Trocquer part du constat simple que la Bretagne ne produit pas de charbon, principale source d’énergie au début du XXe siècle. Elle doit donc développer l’énergie électrique en prenant exemple sur les zones montagneuses, qui exploitent l’énergie hydroélectrique, à partir de la fonte des glaciers. Mais, la Bretagne est dépourvue de cette « houille blanche ». C’est donc l’important réseau hydrographique – des fleuves jusqu’aux petits ruisseaux – qui doit servir à la production électrique. La couleur verte de cette houille est empruntée aux prairies irriguées par ces cours d’eau. L’ingénieur Le Trocquer n’imagine pas que des « grands travaux », à l’image de ce lac artificiel de 400 hectares posé aux confluences du canal de Nantes à Brest et du Blavet. Il veut que la production hydroélectrique se fasse à l’échelle la plus locale possible. Ainsi, les ruraux doivent pouvoir produire leur propre énergie, en utilisant notamment le modèle ancestral du moulin à eau. Le Trocquer y voit un intérêt majeur : le développement économique des campagnes bretonnes par la mécanisation, et le maintien d’une industrie rurale, ce qui permettrait d’endiguer l’exode de la population. En 1919, cette source d’énergie semble jouir d’un formidable potentiel puisque seulement 10% des capacités seraient exploitées par l’intermédiaire de « 3.770 usines hydrauliques ».

Dans ces années 1920, d’autres projets de production hydroélectrique voient le jour, dont la construction d’usines marémotrices. Un premier projet est évoqué en 1921 sur la Rance (22). Un chantier est lancé à l’Aber-Wrac’h (29) en 1925, mais est vite abandonné faute de financement. Utiliser la force des marées pour produire de l’électricité n’est autre que l’adaptation du système des moulins à marées, comme on peut en trouver notamment sur l’île de Bréhat (22), avec le moulin de Birlot.

L'usine marémotrice de la Rance. Carte postale. Collection particulière.

Si l’Entre-deux-guerres voit l’émergence de cette question de la production hydroélectrique, le boom économique de la Bretagne lors des « Trente glorieuses » rend impérieux la réalisation de projets pour faire face à la consommation électrique exponentielle, due notamment à l’industrialisation et à l’électrification des campagnes. C’est ainsi que l’usine marémotrice sur la Rance est réalisée dans les années 1960. Dans ces mêmes années, les Bretons restent largement opposés à la construction de centrales nucléaires – on rappellera seulement le conflit autour de Plogoff –, alors que cette nouvelle source d’énergie électrique est alors vue comme le meilleur moyen de répondre aux besoins. Au début du XXIe siècle, l’énergie hydroélectrique semble être toujours d’actualité en Bretagne, puisque l’on envisage désormais d’exploiter les courants sous-marins côtiers pour produire de l’électricité. Oserons-nous parler alors de « houille bleue » ?

Thomas PERRONO