Les Onion Johnnies : conquérants de l’exportation bretonne

Il n’est pas rare d’entendre, ou de lire, qu’il faut attendre les années 1960, et les premiers fruits  récoltés du CELIB, pour que la Bretagne cesse d’être une terre archaïque, se vidant de ses bras partis faire de Montparnasse la véritable capitale de la province. Pourtant, il est une profession qui, depuis le XIVe siècle, fait figure de véritable avant-garde, et encore plus sans doute aujourd’hui à l’heure où l’on ne cesse de parler de mondialisation et de valoriser l'exportation à l'international : les Johnnies.

Johnnies préparant au début du XXe siècle leur production à partir vers la Grande-Bretagne. Carte postale. Collection particulière.

C’est en effet depuis le Moyen-Âge que les archives attestent le commerce d’oignons à destination des iles britanniques dans la région de Roscoff et Saint-Pol-de-Léon. Pour autant, c’est véritablement à partir de la moitié du XIXe siècle que cette activité économique particulière prend de l’essor, comme en témoignent parfois des situations dramatiques. Parmi les nombreuses victimes du naufrage du Hilda, devant Saint-Malo en novembre 1905, figurent ainsi 70 Johnnies de retour au pays après avoir vendu leur récolte, chiffre qui dit bien l’importance de ce commerce.

Certes, à l’échelle de l’Angleterre, du Pays de Galles et de l’Ecosse – l’Irlande, trop pauvre, ne semble pas avoir constitué un débouché intéressant – les Bretons ne représentent qu’une part minoritaire du marché de l’oignon estimée à à peine 2%. Mais, pour la région de Roscoff, cette activité est une manne considérable pour les hommes qui, partis vendre leur production de juillet à janvier, retournent ensuite à leurs terres. A leur apogée, c’est-à-dire à la fin des années 1920, on estime qu’environ 1300 Johnnies produisent 9000 tonnes d’oignons, ce qui est bien entendu considérable.

Du point de vue commercial, on ne peut qu’être aujourd’hui surpris par les méthodes de vente adoptées par ceux que les ménagères britanniques ne tardent pas à surnommer Onion Johnnies. C’est en effet en pratiquant le porte à porte que ces Bretons écoulent leur production suivant une organisation qui ne laisse nulle place à l’improvisation et parait conjuguer harmonieusement force de la puissance collective et intérêt de la motivation particulière. Les vendeurs – bien souvent des enfants venus accompagner leur père – sont organisés en compagnies supervisées par un master et s’installent dans un magasin, faisant à la fois officie de dépôt et de logement, où des botteleurs pourvoient à leur approvisionnement en oignons.

Y compris de nos jours, les Johnnies bretons restent une figure aimée des Britanniques. Carte postale. Collection particulière.

Mais, au-delà des succès commerciaux conquis à l’exportation, les Johnnies participent d’un véritable échange culturel avec la Grande-Bretagne. Ainsi, si la consommation de thé est semble-t-il plus importante dans les régions de Roscoff et Saint-Pol-de-Léon qu’ailleurs en Bretagne, la figure du vendeur breton d’oignons s’installe pour sa part durablement dans l’imaginaire populaire britannique. Elle y est en effet perçue comme l’un des symboles d’un âge d’or perdu. 

Erwan LE GALL