37 secondes pour la justice : le naufrage du Bugaled Breizh

De la même manière que le récent Nuit noire sur Brest dit beaucoup de notre rapport actuel à la période 1936-19381, le roman graphique que consacrent Pascal Bresson et Erwan Le Scaëc au naufrage du Bugaled Breizh dévoile bien la profondeur du traumatisme engendré par cette tragédie2. Pour s’en convaincre, il suffit de se rapporter à la couverture, particulièrement incisive : un chalutier vogue sur une mer rougie de sang et noircie par une ombre mystérieuse, dispositif qui n’est pas sans faire penser de manière subliminale aux Dents de la mer, tandis que s’affiche le sous-titre de ce roman graphique : 37 secondes.

Détail de la couverture de Bugaled Breizh, 37 secondes.

L’intérêt du lecteur est de même suscité par certaines mentions, figurant sur la quatrième de couverture mais également en page de garde. Bien que basée sur des faits historiques, les auteurs, et peut-être même leur éditeur, tiennent à rappeler que cette œuvre est une fiction. Assertion anodine tant elle est banale mais qui là produit, par la magie du hors-champ, un étrange effet de réel. Certes cette précision légitime une astuce scénaristique incarnée par l’enquête d’un journaliste de presse locale, anarcho-alcoolo à la mode Buckowski revenu de tout. Mais surtout elle rappelle que le Bugaled Breizh est une affaire encore en cours, autrement dit toujours en instruction, dimension d’autant plus substantielle qu’elle implique l’Armée.

En effet, au drame du naufrage d’un chalutier causant la mort de cinq marins vient s’ajouter une enquête qui, dès le début ou presque, ne semble satisfaire personne. Dès lors, deux options se présentent. La première consiste à incriminer une époque, celle dans laquelle nous vivons et qui non contente de refuser l’inexplicable exige un ou des responsable.s pour chaque catastrophe, y compris le naufrage en pêche d’un chalutier au large des côtes de l’Angleterre, devant le cap Lizzard. La seconde se focalise pour sa part sur la rapidité avec laquelle se déroulent les faits – 37 secondes – et, prenant acte de manœuvres de l’OTAN dans les parages, prend fait et cause pour la thèse du submersible.

C’est bien celle-ci que défend bec et ongle, et avec talent, ce roman graphique : le Bugaled Breizh aurait été emmené par le fond par un sous-marin croisant dans les parages, pris dans son filet. Seul ce scénario expliquerait la violence et la rapidité du choc. C’est en tout cas ce que soutient mordicus Arthus Bossenec, journaliste local qui mène l’enquête au fil de ces 140 pages au dessin efficace et à l’atmosphère chromatique particulièrement bien réussie.

Le Bugaled Breizh en pêche, quelques instants avant le drame.

Avec ce roman graphique, Pascal Bresson et Erwan Le Scaëc s’affirment comme deux auteurs se spécialisant dans les mondes maritimes puisqu’ils étaient déjà à la manœuvre pour la série Entre Terre et mer, publiée aux éditions Soleil. On y retrouve d’ailleurs les mêmes ingrédients avec, entre autres, un scénario bien ficelé et une ambiance très bien retranscrite. A la différence près que ce que l’on pouvait reprocher à Entre Terre et mer, à savoir un manque de nuance historique, fonctionne très bien avec ce Bugaled Breizh, œuvre au service d’une thèse, celle du sous-marin. Livrant une démonstration particulièrement convaincante, les deux auteurs donnent par la même occasion aux historiens qui à l’avenir se pencheront sur cette affaire une source qui assurément comptera quand viendra l’heure de rendre compte du choc causé par ce naufrage dans le monde la pêche et, plus largement, en Bretagne.

Erwan LE GALL

BRESSON, Pascal et LE SCAËC, Bugaled Breizh, 37 secondes, Lopérec, Locus Solus, 2016.

 

 

 

1 GALIC, Bertrand, KRIS et CUVILLIER, Damien, Nuit noire sur Brest, Futuropolis, Paris, 2016.

2 BRESSON, Pascal et LE SCAËC, Bugaled Breizh, 37 secondes, Lopérec, Locus Solus, 2016.