Entre terre et amer

Adaptée d’un feuilleton télévisé diffusé à la fin des années 1990 sur France 2, la bande dessinée Entre Terre et mer se propose d’exploiter un univers historique a priori porteur, celui des sociétés bretonnes de la pêche à la morue1. Le pluriel s’impose en effet puisque c’est bien de l’histoire d’une séparation qu’il s’agit ici, séparation entre un jeune marin et sa promise, comme une métonymie de ces mondes bicéphales partagés entre hommes en mer et femmes demeurées à terre. L’intrigue est classique et, de Pierre Loti à Roger Vercel, a largement démontré ses qualités.

L'absence est au centre de cette série.

Pour autant, le lecteur attentif, et connaissant au moins un minimum le monde de la grande pêche, ne peut être qu’interpellé  par un certain nombre de détails qui, ne le cachons pas, font à la longue désordre. Passons rapidement sur le peu de vraisemblance du port où la lourde goélette vient décharger sa précieuse cargaison (Tome 2, p. 5 et suivantes) : le havre du lupin situé près du hameau de la Guimorais, entre Saint-Malo et Cancale, ne convient absolument pas à une telle manœuvre tant le marnage y est fort et le tirant d’eau faible. On pourra toujours arguer de la liberté accordée aux scénaristes et, de manière générale, aux œuvres de fiction, ce qui pourrait expliquer par exemple que cette série ne figure la mer qu’à marée haute. On reste néanmoins circonspects en découvrant certains dialogues entre protagonistes, les hommes à bord de leur navire, leurs femmes à terre voyant celui-ci approcher des côtes (Tome 1, p. 45 et 46 notamment). De même, l’allusion à la Cancalaise  est assurément malheureuse dans un récit sur la grande pêche dans la mesure où ce nom évoque aujourd’hui immanquablement la célèbre bisquine, type de gréement dont il n’a jamais été question d’équiper les goélettes armées à la grande pêche.

De telles incohérences sont d’autant plus regrettables qu’à la différence d’un Pierre Loti, les auteurs de cette série n’escamotent pas les tensions entre patrons pêcheurs et armateurs, un personnage singulièrement absent du néanmoins fameux Pêcheurs d’Islande. Mais, malgré cette dimension sociale qu’il convient de rappeler tant elle est importante, les deux premiers tomes de cette série ne parviennent pas à réellement convaincre du point de vue historique. Si le filon de la grande pêche est porteur du point de vue du public, ce chemin est également grandement emprunté et, de surcroît, par quelques superbes réalisations. On pense bien évidemment aux magnifiques romans maritimes de Roger Vercel mais également à la non moins superbe exposition Terre Neuve / Terre Neuvas qu’il nous a été donné de visiter lors de l’été 2014.

Une bande dessinée peu soucieuse de réalisme: une goélette qui avance sans voile et visblement sans tirant d'eau.

En définitive, les éditions Soleil initient avec ces deux premiers tomes une série qui, à défaut de contenter l’historien soucieux du détail, saura rencontrer un assez large public. Mais, si les auteurs ne parviennent pas à relever leur barre, il y a fort à parier que cet Entre Terre et mer ne parvienne pas à conserver ses lecteurs, partis vers d’autre parages plus soucieux de réalisme.

Erwan LE GALL

 

BRESSON, Pascal, LE SAËC, Erwan et GONZALBO, Axel, Entre Terre et mer, Tomes 1 et 2, Toulon, Editions Soleil, 2015.

 

 

 

1 BRESSON, Pascal, LE SAËC, Erwan et GONZALBO, Axel, Entre Terre et mer, Tomes 1 et 2, Toulon, Editions Soleil, 2015. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.