Le temps de l’absence

On se rappelle du fantastique premier volet de l’exposition Terre-Neuve / Terre-Neuvas présenté à Rennes d’octobre 2013 au mois d’avril dernier et visible depuis le 28 juin à Saint-Malo, en la Chapelle Saint-Sauveur. Aux Champs libres, le spectacle était tout simplement stupéfiant, qu’il s’agisse bien entendu des objets exhibés mais également des vidéos, de l’ambiance visuelle et sonore ou même du mobilier d’exposition. Mais, malheureusement, faute de temps, nous n’avions pu aller à Saint-Brieuc visiter le deuxième volet de ce Terre-Neuve / Terre-Neuvas, consacré au Temps de l’absence. C’est aujourd’hui chose faite puisque c’est à Granville que peut désormais être visitée cette exposition.

A Granville, l'exposition Le Temps de l'absence. Cliché E. Le Gall.

Disons-le d’emblée, celle-ci est remarquable et ne doit être manquée sous aucun prétexte. Extrêmement riche, dotée d’une scénographie particulièrement efficace, l’exposition permet de retrouver un monde aujourd’hui disparu, celui de ces sociétés amputées périodiquement de leurs hommes partis à la pêche sur les bancs. Une mention toute particulière doit ici être adressée à la société Vivement Lundi ! productrice des films d’animation qui accompagnent l’exposition : remarquablement didactiques, ils permettent de découvrir le travail de la morue – tant du point de vue de la pêche que de la préparation – et de se réapproprier un patrimoine lui aussi menacé : les mots pour le dire…

Pour autant, inutile de le nier, si l’exposition est d’une très grande qualité, nous n’avons pas été aussi estomaqués qu’aux Champs libres. Peut-être nos attentes étaient-elles trop importantes après cette fantastique première ? Peut-être que la thématique de cette seconde exposition est moins spectaculaire que le volet consacré à L’aventure de la pêche morutière ? Difficile de le dire. Il est vrai que d’une certaine manière réaliser une exposition sur l’absence est un défi difficilement surmontable puisque le vide est toujours le plus délicat à montrer. De plus, on sait que les femmes qui restent à terre sont bien souvent les parents pauvres de l’archive et que les items à exposer sont, en conséquence, nécessairement moins nombreux.

Goelette de pêche à la morue. Carte postale, collection particulière.

Mais à dire vrai, ce n’est pas tant cette partie qui se révèle gênante que le module concluant ce diptyque d’expositions. Abordant comme il se doit la mémoire de la Grande pêche, celui-ci se heurte quelque peu à la thématique générale de ce deuxième volet censé traiter du Temps de l’absence. En effet, du point de vue des représentations mentales, c’est plutôt d’abondance qu’il s’agit, comme le prouvent les nombreux éléments présentés : films, affiches, reportages télévisés ainsi qu’une belle collection de Pêcheur d’Islande de Pierre Loti, ouvrage déterminant dans la construction de la mémoire de la pêche terre-neuvienne. Or, plutôt qu’un beau tableau brossant les différents supports de cette mémoire, sans doute aurions-nous préféré une mise en perspective plus fine de ce souvenir puisque le roman de Loti n’est pas sans présenter une vision déformée de la pêche, en oubliant la figure pourtant centrale de l’armateur.

Il n’en demeure pas moins que ces critiques ne sont que de peu de valeur face à l’incontestable réussite de cette exposition en deux volets, assurément destinés à entrer dans les mémoires. Il est en effet certain que ce Terre-Neuve / Terre-Neuvas, quelle que soit l’exposition considérée, place très haut les curseurs de l’excellence, tant du point de vue du fond que de la forme. Bref, à ne rater sous aucun prétexte.

Erwan LE GALL