Vercel, le Spitzberg et les rouges

Lauréat du prix Goncourt 1934 pour son Capitaine Conan, roman qui redonna leurs lettres de noblesses aux poilus d’Orient trop souvent assimilés aux jardiniers de Salonique, Roger Vercel est également un éditorialiste régulier du grand quotidien breton L’Ouest-Eclair. Or le billet qu’il signe dans l’édition du 21 octobre 1936 n’est pas sans interroger.

Le propos débute comme dans un des merveilleux romans maritimes de Roger Vercel et rappelle, si besoin était, le talent de cet immense écrivain :

« Figurez-vous une baie immense, au bout du monde, au nord du Spitzberg. De grands glaciers, coupés par des chaînes aiguës descendent vers la mer ; des sommets dentelés et dénudés enserrent l’eau profonde. Sur les montagnes, le grand jour pâle de minuit, ce jour sans fin de l’été polaire et son inexorable tristesse. »

Au Spitzberg, l'été, par beau temps. Carte postale. Collection particulière.

Superbes phrases qui rappellent toute la dimension naturaliste de ce romancier qui excella dans la description du quotidien du monde maritime et qui, à cette occasion, promène sa plume jusque vers les contrées arctiques. Mais le propos, qui peut être rapproché de livres comme Croisière blanche ou A l’assaut des pôles1, tous deux parus en 1938, ne saurait se limiter à ces seules considérations naturalistes et ethnographiques. C’est en effet à une critique en règle du communisme que se livre Roger Vercel dans cet article.

S’intéressant aux mineurs du Spitzberg, il interroge leur statut de « volontaires » et, prenant appui sur cette dénonciation du Goulag2, témoigne de la vigueur de ses sentiments anticommunistes :

« Le bolchevisme que j’ai vu naître et monter chez lui est maintenant étale. Il a réussi sur les siens la gigantesque ablation de tout ce qui valait encore la peine d’être né homme au lieu de cheval de trait. »

Là encore, le propos ne manque pas d’interroger car si Roger Vercel a la réputation d’être un superbe écrivain de la mer, il ne passe pas pour être un infatigable coureur de miles, toujours en partance pour un nouveau port. Professeur au lycée de Dinan, auteur d’une thèse remarquée sur Pierre Corneille, il n’a guère le loisir de sillonner les mers. Dès lors, quelle valeur attacher à la description qu’il donne de ce théâtre du Spitzberg ? Sans doute faut-il faire ici abstraction des artifices littéraires et ne conserver que l’essentiel du propos, à savoir la virulente critique de l’Union soviétique et l’idée qu’elle est une menace pour la paix.

L'hiver et la banquise en formation. Carte postale (détail). Collection particulière.

Et c’est d’ailleurs sans doute ainsi que se dégage l’une des plus frappantes singularités de cet éditorial écrit en octobre 1936, c’est-à-dire quelques mois après le triomphe du Front populaire aux élections législatives. Plutôt que d’agiter l’argument rhétorique classique de l’ennemi intérieur, c’est en soulignant la menace que fait peser sur la paix l’Union soviétique et à travers elle le communisme que Roger Vercel décide de s’attaque au « péril rouge ». Et on se doute que son propos a pu être d’un poids certain compte tenu du magistère moral qu’occupe le romancier qui, lauréat du prix Goncourt est aussi ancien combattant.

Erwan LE GALL

1 VERCEL, Roger, Croisière blanche, Paris, Albin Michel, 1938 et A l’assaut des pôles, Paris, Albin Michel, 1938.

2 Sur cette question on renverra à l’incontournable APPLEBAUM, Anne, Goulag. Une histoire, Paris, Grasset, 2003.