Astérix le Gaulois est-il Breton ?

Et si le Breton le plus célèbre était Gaulois ? En effet, la localisation du « village d’irréductibles Gaulois » d’Astérix ne fait guère de doute : c’est bien en Armorique – l’antique Bretagne – que René Goscinny et Albert  Uderzo le situent. Plusieurs éléments le prouvent. Dans l’album Le Tour de Gaule d’Astérix (1965), le héros au casque ailé dessine sur le sol l’itinéraire qu’il compte emprunter pour prouver aux Romains que « nous sommes chez nous en Gaule et [que] nous irons où bon nous semblera » (p. 8). L’endroit du départ, marqué d’une croix, est incontestablement situé sur la côte nord de l’actuelle Bretagne, aux alentours de la baie de Saint-Brieuc. De même, le Tour de Gaule s’achève au port de Gésocribate, soit Le Conquet comme il est sous-titré (p.43). D’autres albums placent également les aventures d’Astérix en Armorique : une grande partie de l’action d’Astérix et Latraviata se passe à Condate (Rennes) et tout récemment, dans Astérix et la Transitalique, les deux héros gaulois se rendent à la Foire itinérante de l’artisanat celte (FIAC) à Darioritum, la capitale des Vénètes. En outre, à l’appui d’une interview d’Albert Uderzo dans Le Parisien en 1966, à Erquy on en est sûr : « Le petit village des irréductibles, qui apparaît sous la loupe dans la page de garde de tous les albums d'Astérix, c'est bien au Cap d'Erquy qu'il est situé »1.

Carte postale. Collection particulière.

Partant de cette localisation du « village des irréductibles Gaulois », il apparaît qu’Astérix serait alors un Armoricain du peuple des Coriosolites. En effet, leur territoire s’étend sur la partie orientale de l’actuelle département des Côtes-d’Armor, sur la frange occidentale du département d’Ille-et-Vilaine ainsi que sur l’extrême Est du Morbihan. Mais puisqu’aucun peuple gaulois n’a laissé de trace écrite, c’est par César que l’on doit en savoir un peu plus à leur propos. Il compte ainsi les Coriosolites parmi les « peuples marins riverains de l’océan ». Sous le principat d’Auguste, la civitas (cité) des Coriosolites se dote d’une capitale administrative et religieuse : Fanum Martis, soit l’actuelle Corseul, qui au fil du temps devient la ville la plus importante de l’Ouest de la Gaule. Cependant, de toute cette histoire des Gaulois qui peuplaient l’Armorique au Ier siècle av. JC., il n’en est jamais question dans les aventures d’Astérix.

Alors si Astérix n’incarne pas la réalité des peuples armoricains, peut-il être au moins un ancêtre des Bretons ? Dans Le Dictionnaire du patrimoine breton, l’éminent historien Alain Croix répond plutôt par l’affirmative, voyant ressurgir au fil des aventures un certain nombre de stéréotypes qui collent aux Bretons : les compagnons d’Astérix sont volontiers têtus et batailleurs, Obélix taille des menhirs, un druide représente l’autorité morale du village, un barde joue de la musique avec un biniou etc.2 Pourtant, on pourrait tout aussi bien objecter que les menhirs, malgré leur nom venu de la langue bretonne, n’ont pas le label « produit uniquement en Bretagne ». Ces objets de la civilisation néolithique – et non gauloise – sont présents aussi bien en Europe, qu’en Asie, mais aussi en Afrique. De même pour les druides et les bardes bretons contemporains qui n’ont rien de gaulois, mais ne sont que des avatars issus du panceltisme né en pleine période romantique. D’ailleurs la figure du druide Panoramix s’approche beaucoup des images d’Epinal forgée par l’école républicaine du XIXe siècle : un vieil homme barbu qui coupe le gui à la serpe. Dès lors, plus que toute autre figure, c’est bien celle du Gaulois typique de la vision IIIe République qu’incarne le mieux Astérix. L’album Le Tour de Gaule est d’ailleurs très éclairant : à la manière du Tour de France par deux enfants ou bien duTour de France cycliste, Astérix parcourt la Gaule : un pays uni dans  le patriotisme mais  divers dans ses parlers et spécialités régionales.

Carte postale. Collection particulière.

Last but not least, il est également éclairant que jamais – à notre connaissance tout du moins –, la figure d’Astérix n’ait été reprise par un quelconque mouvement culturel ou politique breton en tant qu’étendard de l’identité bretonne. Ce qui est le cas, a contrario, de Bécassine qui bien qu’honnie par une large part des Bretons de l’entre-deux-guerres, a fini par être revendiquée dans les années 1970 dans un élan de fierté régionale retrouvée. Il n’en reste pas moins, par Toutatis, qu’Astérix connaît la chance d’habiter la plus belle côte du monde : celle de la Bretagne-Nord !

Thomas PERRONO

 

1 http://www.erquy-tourisme.com/Patrimoine-Histoire/Asterix-erquy_fiche_786.html

2 CROIX Alain, « Astérix », in CROIX Alain et VEILLARD Jean-Yves (dir.), Le Dictionnaire du patrimoine breton, Rennes, PUR, 2013, p. 90.