La mort d’Edouard Mazé

Bercées entre les illusions de la reconstruction et le confort des trente glorieuses, le début des années 1950 est perçu comme une sorte de havre de paix à peine perturbé par la lointaine guerre d’Indochine et par une Toussaint dont on tarde à mesurer à quel point elle est rouge. Pourtant, c’est dans un climat social particulièrement lourd que commence cette décennie qui, ne l’oublions pas, nait en pleine guerre froide. A Brest, la situation est d’autant plus tendue que la ville tarde à se reconstruire. Encore réduite à l’état de vaste chantier du fait des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, la Cité du Ponant a en bien des endroits plus des allures de terrain vague en mutation urbanistique que de rieuse sous-préfecture du Finistère.

La place du château à Brest à la fin des années 1940. Carte postale, collection particulière.

C’est dans ce contexte lourd qu’éclate qu’au mois de janvier la grève des carriers d’Huelgoat. Ceux-ci sont bientôt rejoints par les marins-pêcheurs qui protestent contre les importations de poissons puis par les fonctionnaires de Brest qui réclament le maintien de l’indemnité qui leur est versée au titre de « ville sinistrée ». Le 19 mars, ce sont plus de 5 000 ouvriers du bâtiment qui entrent à leur tour en grève, afin d’obtenir une augmentation de salaire. Ils sont bientôt suivis par les dockers du port de Brest et, peu à peu, la cité finistérienne prend des allures de forteresse assiégée par la grève générale.

Les manifestations se succèdent devant un impressionnant déploiement de forces de police jusqu’à la tragique journée du 17 avril 1950 : une fusillade éclate et Edouard Mazé, frère du secrétaire du syndicat du bâtiment, affilié à la CGT, s’effondre. Au final, le bilan est très lourd : un mort, de nombreux blessés dont certains gravement, à l’image de Pierre Cauzien, qui est amputé d’une jambe. Edouard Mazé devient instantanément un emblème de la répression policière et se forge autour de lui une mémoire d’autant plus vive que l’enquête diligentée aboutit à un non-lieu.

Extrait d'Un homme est mort de Kris et Etienne Davodeau.

Au début des années 2000, la mort d’Edouard Mazé revient dans la lumière par l’intermédiaire de Kris et Etienne Davodeau, auteurs d’une splendide bande dessinée sur la tragique journée du 17 avril 1950. Un film de Bénedicte Pignot, sorte de making of produit par les Bretons de Vivement Lundi !  – qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le travail qui a pu être réalisé quelques années plus tard autour de l’œuvre de Marcelino Truong – montre bien toutes les difficultés qui se sont présentées aux auteurs, notamment en ce qui concerne la représentation de la violence. Car, contrairement à ce que l’on veut bien admettre, celle-ci constitue souvent un angle-mort des archives et se retrouve masquée par des points de vue discordants et/ou des statistiques trompeuses. Une situation d’autant plus délicate lorsqu’il s’agit de mettre en image les évènements.

Le talent de Kris et d’Etienne Davodeau est justement d’avoir laissé le choix au lecteur et de laisser les imaginaires opérer… ce qui est un comble pour une bande dessinée d’histoire ! Or là n’est pas le seul paradoxe de cet album. Traitant d’une figure et d’une journée emblématique du mouvement ouvrier brestois, qui avait aussi en son temps été portée à l'écran par René Vautier, ce livre ne disposait d’aucune traduction en Breton ! Cela sera bientôt chose faite grâce à votre soutien et aux éditions Nadoz-Vor Embannadurioù.

Erwan LE GALL