De Saigon à Saint-Malo

C’est un objet documentaire très curieux, et donc captivant, qui sera diffusé samedi 20 septembre au Ciné-TNB à Rennes dans le cadre de la Semaine vietnamienne : Mille jours à Saigon de Marie-Christine Courtès. Revenant sur la genèse du roman graphique Une si jolie petite guerre, ce film revient sur l’histoire singulière de son auteur, puisque cette œuvre est largement autobiographique.

Né à Manille en 1957, Marcelino Truong est le fils d’un diplomate vietnamien servant l’administration du président Diêm (qui s’empare du pouvoir après avoir renversé Bao Daï après les accords de Genève scellant la fin de la guerre de l’Indochine) et d’une mère malouine. C’est donc dans climat de guerre froide, d’affrontements avec le Viêt-Minh et, pour tot dire, de guerre du Viet-Nam que s’écoulent les 1 000 jours que la famille Truong passe à Saigon avant de fuir à Saint-Malo.

En 1957, le président américain Dwght Eisenhower et le secrétaire d'état John Foster Dulles accueillent le président vietnamien Ngo Dinh Diem lors d’une visite officielle. Wikicommons / NARA: 342-AF-18302USAF.

Le film repose donc sur une habile mise en abîme, celle de l’artiste déroulant sa propre histoire familiale pour mieux la retranscrire dans le roman graphique qu’il projette de publier. Le procédé est classique mais ici particulièrement efficace tant il montre combien ce type d’exercice est difficile. Là où l’historien peut disposer de centaines de pages et de milliers de références dans l’appareil critique pour préciser, modérer, justifier son propos, le 9e art n’accorde que quelques cases. Il en résulte des albums qui pour être intéressants et réussis sur le plan graphique n’en sont pas moins trop univoques.

L’une des incontestables réussites de ces 1 000 jours à Saigon est assurément de parvenir à montrer cette recherche de subtilité, de finesse dans le propos. Très stimulantes sont à cet égard les séquences où Marcelino Truong s’interroge sur son propre regard, tentant de pénétrer la logique des acteurs et de dépasser des considérations victimaires qui, bien que reflétant des réalités atroces, n’en sont pas moins également instrumentalisées dans un but politique.

Mais ce film montre aussi une volonté constante de comprendre l’histoire, pour mieux pouvoir la retranscrire, et deux points attirent plus particulièrement l’œil du spectateur. Il y a d’une part une attention constante portée aux logiques de trajectoires des acteurs puisque le propre d’une guerre civile est de jeter des cousins, des amis, parfois même des frères, dans des camps opposés. Pour Marcelino Truong, le catholicisme de son père est ici une donnée essentielle pour comprendre l’histoire familiale. D'autre part, ce qui surprend dans ce documentaire quiconque s’intéresse à l’histoire militaire est de voir combien la guerre est déréalisée, y compris par des milieux dotés de capitaux socio-culturels aussi élevés que ceux dans lesquels évolue la famille Truong.

Le fabuleux pinceau de Marcelino Truong en pleine action… Vivement Lundi !

Comme souvent dans les documentaires produits par la société rennaise Vivement Lundi!, on pense notamment à la série sur le Front de Libération de la Bretagne ou à la remarquable Affaire des missiles Exocet, Malouines 1982 où se mêlent merveilleusement archives et animation, la forme de ces 1 000 jours à Saigon est aussi soignée que le fond. De nombreux plans montrent en effet Marcelino Truong en train de concevoir son roman graphique et de donner vie sur le papier à ses personnages ce qui, pour une personne qui ne sait absolument pas dessiner, est toujours magique et, pour tout dire, fascinant.

En définitive, nous ne saurions trop vous conseiller d’assister à la projection organisée au Ciné-TNB le 20 septembre prochain à 18 heures, ce d’autant plus qu’elle vous permettra de découvrir des planches originales de Marcelino Truong… ainsi que leur auteur. Un évènement à inscrire donc d’urgence sur votre agenda.

Erwan LE GALL