Les 177 hommes du commando Kieffer en bulles

Bruno Falba et Davide Fabbri sont de véritables spécialistes de la mise en bulles de l’opération Overlord, qu’ils ont d’abord abordée secteur par secteur. Après Sainte-Mère-Eglise, Omaha Beach et la batterie de Merville, changement d’optique avec un focus sur une unité, et non la moindre, le fameux commando Kieffer, ce groupe de 177 Français ayant débarqué le 6 juin 1944 en Normandie1.

Une distribution des cases particulièrement efficace.

Et c’est d’ailleurs une des grandes surprises de cet album que de voir les auteurs si peu insister sur la spécificité de ce 1er bataillon de fusiliers marins commandos. Car si les hommes de Philippe Kieffer constituent un sujet particulièrement intéressant pour l’historien, comme l’ont par exemple démontré Stéphane Simonnet et Benjamin Massieu2, et donc a fortiori pour les auteurs de bandes dessinées, c’est qu’il s’agit là des seuls Français ayant débarqué le 6 juin en Normandie, au cours d’une opération dont on sait par ailleurs qu’elle était loin d’associer le général de Gaulle et les Français libres. Bien entendu, d’autres Français participent à Overlord, et on pense notamment aux parachutistes SAS qui débarquent en Bretagne, mais seuls les hommes du commando Kieffer posent le pied le 6 juin 1944 sur les plages normandes. Si Bruno Falba et Davide Fabbri excellent à donner à voir la bataille, ils peinent donc à en retranscrire le contexte politique, qui est pourtant essentiel. Certes, il est bien rappelé au détour d’une case que ces Français « doivent brûler d’impatience de sauver leur patrie », mais il aurait sans doute été utile de préciser que ceux-ci étaient les seuls dans cette situation, le 5 juin 1944, lorsqu’ils prennent place sur une barge de débarquement.

Cela est d’autant plus dommage que les deux auteurs maitrisent parfaitement le volet opérationnel de leur sujet. Il est vrai qu’en se focalisant sur unité de faible dimension, 177 hommes sur les 130 000 débarqués ce jour-là, ils disposent d’une trame leur offrant une unité de temps, de lieu et d’action qui permet de ciseler un récit haletant. Le tout est de surcroît servi par un dessin magnifique, des couleurs subtiles et une mise en cases particulièrement efficace, alternant plans larges sur le matériel ou le champ de bataille et portraits des protagonistes. C’est aux côtés des hommes du commando Kieffer que le lecteur débarque, sous une grêle de balles et d’obus. Mais Bruno Falba et Davide Fabbri ne tombent pas pour autant dans le piège qui consisterait à n’accorder de l’importance qu’au feu : les défenses accessoires que constituent les fils de fer barbelés et autres chevaux de frise sont également de redoutables obstacles...

Une singularité insuffisament rappelée.

C’est donc mètre par mètre que l’on prend position sur ces plages, jusqu’aux objectifs désignés, une batterie allemande près du casino de Ouistreham puis le village d’Amfreville, à l’est du canal de l’Orne. Et le lecteur mesure alors, au fil des pages, l’extrême difficulté de cette campagne de Normandie qui ne fait que commencer. Mais, bien que longtemps tenu pour indigne d’intérêt, sujet d’histoire périmé, la bataille est un objet complexe qui fait intervenir des éléments certes militaires mais aussi politiques, culturels…3 et on ne peut que regretter que Bruno Falba et Davide Fabbri ne les prennent pas suffisamment en compte dans leur évocation du commando Kieffer. Il n’en demeure pour autant pas moins qu’ils livrent ici un superbe album que l’on invitera toutefois à prolonger agréablement avec les travaux de Stéphane Simonnet et Benjamin Massieu.

Erwan LE GALL

 

FALBA, Bruno et FABBRI, Davide, Opération Overlord, Commando Kieffer, Paris, Glénat, 2015.

 

 

1 FALBA, Bruno et FABBRI, Davide, Opération Overlord, Commando Kieffer, Paris, Glénat, 2015.

2 Citons entres-autres SIMONNET, Stéphane, Les 177 Français du Jour J, Paris, Tallandier, 2014 issu d’une thèse soutenue en 2010 et MASSIEU, Benjamin, Philippe Kieffer, Chef des commandos de la France libre, Paris, Pierre de Taillac, 2013.

3 On renverra ici au colloque La Bataille, du fait d’armes au combat idéologique XIe-XIXe siècle dont les actes viennent d’être publiés aux Presses universitaires de Rennes et que nous avions évoqué dans ces colonnes.