Arthur de La Borderie : un historien ancré dans son époque

Au Panthéon des historiens bretons – ou ayant écrit sur la Bretagne – figure en bonne place Arthur Le Moyne de La Borderie. Venu au monde en 1827 à Vitré, ville de naissance de Bertrand d’Argentré auteur d’une Histoire de la Bretagne dans les années 1580, il est avant tout un professionnel des archives. Sorti major de sa promotion de l’Ecole des chartes en 1852, il travaille de 1853 à 1859 aux Archives départementales de Nantes. Il embrasse également une carrière politique, élu conseiller général d’Ille-et-Vilaine entre 1864 et 1871, puis comme député catholique monarchiste de Vitré de 1871 à 1876, lors de l’avènement de la Troisième république. Mais c’est avant tout en tant qu’historien de la Bretagne qu’Arthur Le Moyne de La Borderie laisse sa plus grande trace.

Carte postale. Collection particulière.

La Borderie incarne parfaitement la figure de l’érudit provincial de son temps. Une érudition catalysée au sein des sociétés savantes qui fleurissent partout en France dès le début du XIXe siècle. Si en Bretagne la Société académique de la Loire-Inférieure fondée en 1817 et la Société polymathique du Morbihan créée en 1826 sont les pionnières1, La Borderie est l’un des membres fondateurs de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine en 1844. Il en est d’ailleurs le président de 1863 à 1890. Il crée également en 1857 la Revue de Bretagne et de Vendée et relance en 1873 l’Association bretonne, une société savante catholique.

Le XIXe siècle est également celui de la construction de l’histoire en tant que discipline scientifique, grâce notamment aux apports de l’école méthodique, incarnée entre autres par Charles Seignobos. De par sa formation de chartiste, La Borderie est sensible à cette attention portée aux archives. C’est ainsi qu’il publie en 1888, une retranscription du Cartulaire de l’abbaye de Landévennec. Ce manuscrit daté du XIe siècle comporte une hagiographie de Saint Guénolé, le fondateur de l’abbaye, ainsi que 24 folios reprenant l’ensemble des titres et documents diplomatiques relatifs aux droits et possessions de l'abbaye de Landévennec.

La quête des origines tient une place importante chez les érudits et historiens du XIXe siècle. Mais alors qu’un fort mouvement celtomane traverse les milieux érudits bretons, dont l’une des voix les plus importantes est celle de Théodore de La Villemarqué, Arthur Le Moyne de La Borderie, peu attiré par le paganisme émanant de ce mouvement, préfère creuser le sillon des racines chrétiennes de la Bretagne. Il publie ainsi en 1848 un texte intitulé Du rôle historique des saints de Bretagne.2 Il écrit également de nombreux articles et ouvrages sur ces figures fondatrices et emblématiques du christianisme en Bretagne. Il est en outre à l’initiative de la réédification du tombeau de Saint-Yves au sein de la cathédrale de Tréguier en 1890.3

Enfin, le XIXe siècle est celui de la construction des romans nationaux. Lors de la leçon d’ouverture de son cours d’histoire de la Bretagne à la Faculté des Lettres de Rennes, le 4 décembre 1890, Arthur Le Moyne de La Borderie s’inscrit pleinement dans ce travail de construction des nations par l’écriture de l’histoire :

« Je veux seulement vous faire observer ici que l’histoire, sous toutes ses formes, est vraiment une œuvre nationale ; que, dans tous ses travaux, toutes ses études, toutes ses branches, l’histoire est par excellence la science patriotique. […]
Le résultat nécessaire du travail historique, c’est donc de faire tomber, un à un, tous les voiles qui plus ou moins cachaient à nos yeux la grandeur de la Patrie ; c’est d’exciter de plus en plus en nous la flamme du patriotisme. »

A l’instar du père  du roman national français, Jules Michelet, auteur d’une monumentale Histoire de France, La Borderie entreprend de publier en 1896 une Histoire de la Bretagne en plusieurs volumes. Mais son œuvre est interrompue au sixième, celui du XVe siècle, lorsque survient sa mort en 1901.  

Pour la vérité et la louange du pays. Armoiries figurant sur la quatrième tome de l'Histoire de la Bretagne de La Borderie. Collection: Bibliothèque universitaire Rennes 2.

Au final, bien que son œuvre soit aujourd’hui largement périmée, de par l’avancée de la recherche historique et des conceptions méthodologiques largement dépassées, il faut reconnaître qu’Arthur Le Moyne de La Borderie garde une place à part dans l’historiographie de la Bretagne. Il demeure même l’une des références vivaces d’une partie des militants du mouvement breton, sans doute à cause de son rapport d’enquête parlementaire sur l’affaire du Camp de Conlie lors de la guerre franco-prussienne de 1870.

Thomas PERRONO

 

 

 

 

1 CHEDEVILLE André, « Sociétés savantes », in CROIX Alain et VEILLARD Jean-Yves, Dictionnaire du patrimoine breton, Rennes, PUR, 2013, p. 911.

2 GUIOMAR Jean-Yves, « Arthur Lemoyne de La Borderie (1827-1901), in CROIX Alain et VEILLARD Jean-Yves, Dictionnaire du patrimoine breton, Rennes, PUR, 2013, p. 544.

3 BRUNEL, Christian, « La réédification du tombeau de saint Yves : l’histoire au service de l’Église », in CASSARD Jean-Christophe et PROVOST Georges (dir.), Saint Yves et les Bretons : Culte, images, mémoire (1303-2003), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 111-123.