L’unité des socialistes français et la création de la SFIO : une non-nouvelle ?

L’histoire du socialisme français est jalonnée d’oppositions, divisions et autres scissions mais également, chose que l’on a tendance à oublier, de grands moments d’union. Parmi ces événements fondateurs figure assurément, et à une place éminente, le congrès dit du Globe qui se tient à Paris du 23 au 25 avril 1905 et duquel naît la Section française de l’internationale ouvrière, parti politique plus connu sous l’acronyme SFIO. Un accouchement qui ne laisse pas de marbre la presse bretonne, même si le faire-part de naissance demeure assez discret.

Lors d'un congrès socialiste avat 1914. Carte postale. Collection particulière.

Malgré une actualité assez chargée – entre séparation des églises et de l’Etat, guerre russo-japonaise et grandes grèves des porcelainières de Limoges – et une ligne éditoriale peu suspecte de philosocialisme, le grand quotidien breton L’Ouest-Eclair prend la peine d’annoncer en première page, dans son édition du 24 avril 1905, le congrès qui s’est ouvert la veille « à neuf heures, au Café du Globe, boulevard de Strasbourg » à Paris1. Factuel, l’article n’en détaille pas moins l’origine de ce « congrès d’unification » – une motion prise lors du congrès socialiste international tenu l’année précédente à Amsterdam – et sa portée qui, « marquera les annales du socialisme international » selon les termes de l'Allemand August Bebel. Le ton est toutefois beaucoup plus acerbe le lendemain puisque le journal rennais ne peut s’empêcher de remarquer, à la suite d’une importante prise de parole de Jean Jaurès, que « le débat, contrairement à ceux des autres congrès dont les séances étaient toujours des plus mouvementées, a été empreint d’une grande courtoisie »2. Sévère diatribe et point final puisque le congrès du Globe n’est plus mentionné dans les éditions suivantes, ni même la naissance de la SFIO.

A Brest, La Dépêche adopte une ligne éditoriale sensiblement équivalente. Le congrès est d’abord annoncé de manière très factuelle, en première page, le 24 avril 1905, pour ensuite disparaître des radars.3 Dans les Côtes-du-Nord, le Moniteur, il est vrai hebdomadaire, ne dit en revanche pas un mot du Congrès du Globe, à l’image d’ailleurs de la presse morbihannaise. Certes, ce silence n’est pas totalement étonnant dans une région où le poids de l’Eglise, quoi qu’inégalement réparti, demeure considérable. Pour autant, il n’en demeure pas moins que ces lignes éditoriales contrastent avec ce que l’on peut lire, par exemple, dans L’Humanité, grand quotidien dont le directeur politique est Jean Jaurès.

L’unité retrouvée des socialistes français ne fait donc nullement la une des journaux bretons au moment du congrès du Globe. Faut-il pour autant en conclure que la presse bretonne est, dès sa naissance, hostile à la SFIO ? S’il n’est bien entendu pas question d’ériger L’Ouest-Eclair ou encore le Nouvelliste de Bretagne en organes au service de la cause socialiste, la réponse doit être nuancée. L’éditorial que publie dans la Dépêche de Brest le 27 avril 1905 Louis Coudurier à propos des grèves de Limoges est à cet égard particulièrement éclairant. Fustigeant les « Fautes du Patronat » qui, à l’en croire, scellent la victoire de l’anarcho-syndicalisme, il ne fait aucunement référence à la SFIO, comme s’il n’avait pas pris acte de sa naissance, comme si cette organisation n’était pas encore entrée dans son logiciel d’analyse politique4.

Lors du congrès de Tours, en 1920. Diapositive. Collection particulière.

C’est un fait, ce n’est que parce que l’histoire de la SFIO balaye plus de 50 années de vie politique française, avec au passage quelques moments essentiels tels que, par exemple, le Front populaire, que sa création est, a posteriori, importante. Autrement dit, il est bien difficile, quoi que puisse en dire August Bebel, de voir en avril 1905 dans la naissance de ce parti un événement aussi fondateur. De plus, il est évident que pour un reporter, il est moins aisé de rendre compte de l’union des socialistes : puisqu’ils ne s’affrontent plus, il n’y a plus ni oppositions, ni divisions à narrer. En d’autres termes, le Congrès du Globe est sans doute, d’un strict point de vue journalistique, moins porteur que celui de Tours qui aboutit, en 1920, à la scission entre socialistes et communistes.

Erwan LE GALL

 

1 « Congrès d’unification socialiste », L’Ouest-Eclair ,7e année, n°2069, 24 avril 1905, p. 1.

2 « L’unification du parti socialiste », L’Ouest-Eclair, 7e année, n°2070, 25 avril 1905, p. 2.

3 « L’unité du parti socialiste », La Dépêche de Brest, 19e année, n°7030, 24 avril 1905, p. 1.

4 « Les Fautes du Patronat », La Dépêche de Brest, 19e année, n°7033, 27 avril 1905.