La nomination de Joffre

La chronologie joue parfois des tours et l’on est frappé de voir combien, pour le général Joffre, la date du 28 juillet est synonyme de tournants. Il y a bien entendu le 28 juillet 1914, ce jour où l’Autriche avec l’appui de Berlin, déclare la guerre à la Serbie. Une décision lourde de conséquences puisqu’elle entraîne l’entrée en guerre de la Russie, ce qui transforme un conflit localisé en une poudrière de beaucoup plus vaste ampleur. Joffre, qui est alors celui qui, en temps de guerre, serait à la tête des armées françaises, est bien entendu au cœur de la crise, rappelant les officiers de permission et mettant en alerte les troupes de couverture. Mais, trois ans plus tôt, en 1911, c’est également un 28 juillet que cet officier de carrière est nommé à ce poste de chef d’état-major général.

Carte postale. Collection particulière.

Dans l’excellente biographie qu’il lui consacre, R. Porte explique que Joseph Joffre est alors « peu connu dans l’armée et moins encore dans le pays, à l’exception de son Roussillon natal ». Aussi est-ce sans-doute pourquoi la presse bretonne s’attache à donner à ses lecteurs un rapide résumé de sa carrière. Mais ce qui frappe en lisant ces journaux c’est de voir combien ils évoquent un choix par défaut, le poste ayant été refusé par le général Pau au prétexte qu’il serait touché deux ans plus tard par la limite d’âge. Laconique, Le Nouvelliste du Morbihan revient sur l’enchaînement des faits : la réorganisation du haut commandement, la disgrâce du général Michel et le refus de Pau. Le 30 juillet, L’Ouest-Eclair croit pour sa part savoir que c’est pour d’obscures raisons politiques que Joffre est nommé à la place de Pau. Si celles-ci ne sont pas détaillées, il n’est pourtant pas interdit d’y voir une des énièmes séquelles des tensions religieuses qui traversent encore le pays et notamment l’Armée, comme le révèle six ans auparavant les inventaires mouvementés des biens de certaines églises.

A Brest, La Dépêche est plus neutre et rappelle le contexte du Conseil des Ministres ayant entériné cette réforme. Surtout, le quotidien finistérien rappelle l’importance des décisions prises en avançant que cette réorganisation permet « l’unité de pensée qui faisait défaut jusque-là ». L’important pour le propos n’est ici pas tant les questions de doctrine qui sont en jeu au sein du haut-commandement que le message délivré : Français vous êtes désormais bien défendus. Une information à ne sans doute pas négliger quelques semaines seulement après la crise d’Agadir…

Carte postale. Collection particulière.

Et c’est à ce moment que l’accueil de la nomination de Joffre par un certain nombre de titres de la presse bretonne est particulièrement intéressant. Car si plusieurs auraient manifestement préféré Pau, ils ne peuvent pas aller contre cette nomination et sont bien obligés de faire l’éloge tant du promu que de la réforme qui l’accompagne. Une tâche d’autant plus délicate que l’homme est alors relativement inconnu des Bretons. Pour L’Ouest-Eclair, cela passe par l’impression de propos flatteurs prêtés à d’éminentes personnalités. Le 30 juillet, c’est ainsi Adolphe Messimy, alors ministre de la Guerre, qui explique qu’il s’agit là d’une homme « remarquable » : « Quoique né à Rivesaltes, il a le sang-froid et l’esprit méthodique, le calme de l’Alsacien ». La veille, c’est un des « amis » de Joffre qui expliquait doctement aux lecteurs de L’Ouest-Eclair que le nouveau chef d’état-major général « ressemble aux généraux japonais » :

« Il reste calme, il ne semble pas se dépenser. Et pourtant, rien ne lui échappe. Il a des yeux qui voient tout. »

C’est donc une partie particulièrement subtile à laquelle se livre L’Ouest-Eclair, celle consistant à déplorer une non-nomination tout en ne portant pas critique à l’institution. Et c’est sans doute-là que se révèle dès sa prise de fonction une qualité essentielle de Joffre : sa capacité à incarner l’Armée.

Erwan LE GALL