La statue de la discorde

A la fin du XIXe siècle, les mutations politiques et l’arrivée au pouvoir des républicains ravivent de nombreuses tensions. Bien souvent, les conservateurs brandissent le spectre de la Révolution française en accusant leurs adversaires de vouloir réinstaurer un régime arbitraire et meurtrier inspiré de la Terreur. La laïcité est, à ce titre, perçue comme le début d’une nouvelle ère de violence par la presse catholique. D’un côté comme de l’autre, les blancs et les bleus abusent allègrement des simplifications historiques et cherchent à conquérir symboliquement le terrain de l’ennemi. C’est dans cette logique que les Républicains décident de financer, au début du XXe siècle, une statue à la gloire de Lazare Hoche à Quiberon.

Carte postale. Collection particulière.

Ni le lieu, ni le personnage ne sont retenus au hasard. Lazare Hoche représente, pour les Républicains, le grand héros révolutionnaire qui est parvenu à démanteler, en 1795, les intentions des émigrés ayant débarqués en baie de Quiberon. A l’origine, le projet républicain voit le jour en contestation d’un autre projet symbolique, celui échafaudé par le clergé de construire une chapelle commémorative à la gloire des « martyrs » de cette opération. Immédiatement, l’association des Bleus de Bretagne, présidée par le député Paul Guieysse, décide de devancer l’Eglise en érigeant une statue à la gloire du général révolutionnaire.

Le projet, confié au sculpteur Jules Dalou, met quelques années à se concrétiser. La statue est finalement inaugurée le 20 juillet 1902 en présence du préfet et, surtout, du ministre de la Marine Camille Pelletan1. La présence d’un membre du gouvernement, connu de surcroît pour être un fervent républicain, attise d’autant plus la colère de la presse conservatrice. Dans son édition du 20 juillet 1902, La Croix du Morbihan évoque une « fête maçonnique » dont la seule volonté est de célébrer « les soldats de Hoche qui commirent tous les excès, même les plus honteux »2. Un mois plus tard, l’hebdomadaire dénonce un monument « uniquement destiné à perpétuer les rancunes et les haines »3.

Les rancunes sont en effet loin de s’estomper. Cinq ans plus tard, en 1907, le député Alfred Brard inaugure à Lignol une plaque à la mémoire de Corentin Le Floc’h, député aux États généraux, assassiné par les Chouans en 17944. L’inauguration prend une tournure d’autant plus politique qu’elle intervient quelques mois après la crise des Inventaires. Quant à la statue du général Hoche, elle est une première fois détériorée en septembre 1910 par des monarchistes.

Carte postale. Collection particulière.

Le 23 février 1972, le monument revient au premier plan de l’actualité. Il échappe de justesse à un attentat attribué à l’Armée révolutionnaire bretonne5. La statue devient dès lors le symbole d’une nouvelle lutte, celle du Breton contre le Français, de l’indépendance contre le pouvoir établi… A Quiberon, Lazare Hoche est bel et bien une statue de discorde.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 Archives départementales du Morbihan, 1 M CEREM 19, invitation du Comité d’érection d’un monument au général Hoche, 30 juin 1902.

2 « Hoche », La Croix du Morbihan, 20 juillet 1902, p. 1.

3 « Un soufflet retentissant », La Croix du Morbihan, 17 août 1902, p. 1.

4 « La manifestation de Lignol. Une belle journée républicaine. – À bas les Chouans », La démocratie du Morbihan, 2 juin 1907, p.2.

5 « Vive émotion la nuit dernière place Hoche », La Liberté du Morbihan, 25 février 1972, p 5.