Le père du métropolitain

Si son nom n’est pas totalement tombé dans l’oubli, puisqu’il est encore aujourd’hui associé à l’une des plus grandes gares de Paris, celle qui par ailleurs constitue la véritable porte d’accès vers la Bretagne, rares sont celles et ceux qui connaissent le parcours de Fulgence Bienvenüe. Né le 27 janvier 1852 à Uzel, petite commune des Côtes-du-Nord située entre Loudéac et Saint-Brieuc, Fulgence Bienvenüe est le dernier enfant d’une fratrie de 13. Fils d’un notaire consacrant son temps libre à l’histoire et l’archéologie, petit fils d’un magistrat passionné par les Lettres, il grandit dans un environnement favorisé et cultivé. Faut-il y voir une certaine prédisposition pour les études ? Toujours est-il qu’après être passé par l’Institution Saint-Martin à Rennes, il intègre le fameux Lycée Saint-Geneviève, situé alors à Paris, et obtient le baccalauréat à l’âge de 15 ans.

Fulgence Bienvenüe à son bureau, sans date. Numisrail.

Loin de la trajectoire que l’on présente souvent du petit Breton parti à la conquête de la réussite en émigrant à Paris, son parcours est donc plutôt celui d’un rejeton de la bourgeoisie cultivée doté de facultés exceptionnelles. Ingénieur diplômé de la prestigieuse école des Ponts et Chaussées, mais aussi de la non moins célèbre école Polytechnique où il côtoie deux élèves appelés à une belle carrière, Joseph Joffre et Ferdinand Foch, Fulgence Bienvenüe débute sa carrière à Alençon, dans l’Orne, où il est en charge du réseau secondaire de chemin de fer, celui que l’on dit alors « d’intérêt local ». C’est à cette époque qu’à la suite d’un accident il perd l’usage de son bras gauche, ce qui ne l’empêche toutefois pas de poursuivre sa carrière.

En effet, affecté au milieu des années 1880 à Paris, il est responsable du contrôle de l’exploitation des chemins de fer de l’Est, un réseau particulièrement surveillé du fait de son importance stratégique en cas de guerre avec l’Allemagne, puis du Nord. A partir de février 1886, il intègre la ville de Paris et, s’il reste associé à un certain nombre de questions ferroviaires (telles que la suppression de passages à niveau dans le quartier de Charonne par exemple), il s’occupe de l’ouverture de l’avenue Gambetta dans le 20e arrondissement ainsi que de dossiers liés à l’adduction d’eau, aux égouts et à l’éclairage public. Nommé en février 1891 ingénieur en chef, il est en charge de la dérivation de plusieurs cours d’eau destinés à alimenter la capitale1.

Mais la grande affaire de Fulgence Bienvenüe est, à partir de 1896, le « métropolitain municipal de Paris à traction électrique » dont il est le chef du service technique. Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, l’idée d’un réseau de transport en commun souterrain est alors loin de sonner comme une évidence et le Breton doit faire face à de nombreuses critiques. « Personne ne descendra dans votre trou ! » lui jette-t-on un jour à la figure. Le dossier est d’autant plus sensible que l’on souhaite voire le projet aboutir pour l’inauguration de l’Exposition universelle, le 14 avril 1900. Malgré des travaux titanesques, éventrant les rues de la capitale et provoquant de nombreuses réclamations de Parisiens exaspérés, le chantier est achevé avec quelques semaines de retard. Ce n’est en effet que le 19 juillet 1900 que la première ligne du métropolitain, reliant Vincennes à la porte Maillot, est ouverte à l’exploitation.

Carte postale. Collection particulière.

Au total, ce ne sont pas moins de 146 kilomètres de voies de ce chemin de fer souterrain que construit Fulgence Bienvenüe au cours de sa carrière. Le passage de la ligne 4 sous la Seine est alors considéré comme un véritable exploit technique. Ce sont d’ailleurs tous ces succès qui lui valent le surnom affectueux de « père du métro parisien », renommée qui contraste avec le singulier silence entourant sa mort, survenue à Paris, en son domicile du boulevard Courcelles, le 3 août 1936. Il est vrai qu’il décède deux jours après le premier vainqueur de la Manche, le célèbre aviateur Louis Blériot.

Erwan LE GALL

 

1 Arch. Nat. : LH/235/67.