Les chantiers de Saint-Nazaire : un fleuron industriel français ?

Les amoureux de la mer et des bateaux vous le confieront sans aucune difficulté : construire des navires n’est pas une activité anodine. Un constat que partage pleinement l’historien tant les chantiers navals constituent, et depuis longtemps, un secteur stratégique de la plus haute importance. C’est d’ailleurs ce qu’illustrent parfaitement l’estuaire de la Loire et les célèbres chantiers de Penhoët à Saint-Nazaire.

Carte postale. Collection particulière.

Avec la Révolution industrielle s’accroit le commerce de produits manufacturés et donc les besoins en matière de transport maritime. Parallèlement, les progrès technologiques permettent d’envisager des navires non plus en bois mais en acier, propulsés par la vapeur au lieu de la voile, et surtout toujours plus grands. Or cette augmentation du tonnage n’est pas, parfois, sans poser un certain nombre de problèmes en termes d’infrastructures. En effet, la Loire se révèle bientôt insuffisamment profonde pour que Nantes puisse continuer à construire de grands bâtiments et c’est ainsi qu’émerge au milieu du XIXe siècle un nouveau port doté d’un bassin à flot, bientôt suivi d’un second, installations localisées dans l’embouchure du fleuve, à Saint-Nazaire, où l’eau est beaucoup plus profonde.

A cette croissance des besoins en termes de transport répond la création de nombreuses lignes maritimes. C’est ainsi qu’en 1861 la Compagnie générale transatlantique reprend la concession des liaisons transatlantiques entre Le Havre et New-York d’une part, Saint-Nazaire et Vera Cruz via la Martinique et Cuba d’autre part. Au terme de ce contrat, cette société doit toutefois implanter en France, qui en est alors dépourvue, un chantier naval où elle doit faire construire au moins la moitié de sa flotte, soit 8 bateaux. Pour le Second Empire, l’idée est de faire du port ligérien une sorte de « Liverpool français », pour reprendre les termes du raffineur nantais Nicolas Cézard1. Mais vouloir créer de toutes pièces un grand chantier naval pour construire de gigantesques navires est une chose, trouver les compétences pour installer une telle activité industrielle en est une autre ! Et contre toute attente, 50 ans avant que ne soit signée l’Entente cordiale entre Paris et Londres, c’est vers la Grande-Bretagne que se tournent les frères Emile et Isaac Péreire, principaux actionnaires de la Compagnie générale transatlantique. Et l’heureux élu n’est autre que l’ingénieur John Scott, directeur du célèbre chantier naval écossais de Greenock, non loin de Glasgow, sur l’embouchure de la Clyde.

On connait la suite de l’histoire. Huit bâtiments sont livrés jusqu’en 1866 par le chantier de Penhoët à la Compagnie générale transatlantique : le premier, lancé le 24 avril 1864, est l’Impératrice Eugénie tandis que suivent France, Nouveau Monde, Canada, Saint-Laurent, Ville de Boulogne, Colomba et, enfin Oncle Joseph. Mais à la suite d’un contexte économique et financier particulièrement défavorable entraînant le 24 novembre 1866 la faillite du chantier Scott, celui de Saint-Nazaire, qui emploie alors 1 800 ouvriers, doit à son tour fermer ses portes, en 1867.

Le lancement de l'Impératrice Eugénie, lancé à Saint-Nazaire en 1864. Collection particulière.

Il faut attendre la Troisième République et le début des années 1880 pour voir les chantiers de Penhoët rouvrir à la faveur d’une conjoncture plus favorable, et d’une politique volontariste de la part de l’Etat2. C’est alors le début d’une longue et tumultueuse aventure qui contribue à ériger Saint-Nazaire, du France au Harmony of the Seas en passant par le Normandie et le Ville d’Alger, en véritable fleuron industriel français. Le paradoxe est que non seulement cette réussite prend sa source loin de l’hexagone mais que cette dimension est alors clairement assumée. Evoquant à la fin des années 1940 la convention du 24 octobre 1861 unissant John Scott aux frère Péreire, l’historienne Marthe Barbance n’hésite en effet pas à parler de « transfert de technologie »3.

Erwan LE GALL

 

 

1 ROCHONGAR, Yves, Des Navires et des hommes. De Nantes à Saint-Nazaire, deux mille ans de construction navale, Nantes, Editions Maison des hommes et des techniques, 1999, p. 45.

2 Pour de plus amples développements, se rapporter à BELSER, Christophe, Histoire des chantiers navals à Saint-Nazaire, Spézet, Coop Breizh, 2003, p. 10-19.

3 BARBANCE, Marthe, Saint-Nazaire, le port, la ville, le travail, Saint-Nazaire, Crépin Leblond Editeur, 1948.