Dédale et l’amnésie

Les lecteurs d’En Envor le savent bien tant nous rappelons régulièrement le vieil adage qui stipule que la mémoire est l’outil politique du temps présent. Or, ce n’est pas une fois mais deux fois que Le Labyrinthe du silence, remarquable film de Giulio Ricciarelli que l’on pourra découvrir en salle à partir du 29 avril, nous rappelle cela.

En  premier lieu, il y a bien entendu le scénario, habilement ficelé et qui n’hésite pas à multiplier les références plus ou moins implicites aux classiques du cinéma américain d’investigation. Racontant en effet l’histoire d’un jeune procureur chargé d’instruire à la fin des années 1950 le procès d’anciens SS ayant servi à Auschwitz, le film nous plonge dans une Allemagne sous influence américaine, dans une ambiance chromatique où le rose bonbon le dispute au bleu layette, comme dans un vieux diner dont le jukebox hurlerait les disques de cet Elvis venu faire son service militaire sur la base de Friedberg, non loin de Munich. La seule différence est qu’ici le héros, dont les costumes ne sont pas sans rappeler ceux qu’affectionne Eliott Ness, ne roule pas en Cadillac mais en Vespa et en Opel, quand il n’utilise pas une Coccinelle de service frappée de la mention Polizei.

Avec ce film, Giulio Ricciarelli s’attache à montrer le travail du procureur. En cela, il est sans doute un excellent complément au film de Margarethe Von Trotta qui dévoilait à travers la figure d’Hannah Arendt écrivant son Eichmann à Jérusalem le travail intellectuel en train de se faire. Dans ce Labyrinthe du silence, on découvre les hommes de loi investir les archives, dépouiller des milliers de dossiers personnels, recueillir les témoignages des victimes, bref, établir les faits, de la même manière que le fait un historien. La différence essentielle est qu’ici les protagonistes se munissent ensuite d’un annuaire afin d’arrêter les bourreaux, pour les faire juger et, in fine, condamner.

C’est en cela que cet excellent film de Giulio Ricciarelli rappelle qu’un procès peut être un outil de mémoire – à l’instar de ce que seront plus tard en France les procès Barbie et Papon – et s’inscrire en l’occurrence dans un cadre politique. Car, et c’est là la finesse de ce Labyrinthe du silence qui aurait pu se résumer en une dénonciation facile des failles de la dénazification, le propos s’attache longuement aux tenant de l’amnésie, aux implications que celle-ci peut avoir jusque dans la vie intime des individus, au sein des secrets les plus enfouis des cercles familiaux. Ce faisant, les deux parties se livrent un combat haletant qui rappelle, sans jamais tomber dans le piège du manichéisme, combien juger ces anciens SS ayant servi à Auschwitz n’allait pas de soi, moins de 20 ans après la fin de la guerre.

Un moment essentiel du travail du de ce procureur : la confrontation aux archives.

Et c’est sans doute à ce propos que le film se fait œuvre de mémoire et devient à son tour un outil politique du temps présent. En effet, comment ne pas regarder ce Labyrinthe du silence en ne pensant pas au procès d’Oskar Gröning, ancien comptable à Auschwitz, qui se déroule actuellement ? Certes, le contexte politique – l’influence de la guerre froide est réelle dans le film de Giulio Ricciarelli – et historiographique n’est pas le même mais n’est-ce pas au final ce cycle débuté pour partie à Francfort avec ce procès qui s’achève en ce moment-même ?  

Erwan LE GALL