Une guerre si actuelle

La projection organisée en avant-première aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine du documentaire Du coffre-fort à la dette était attendue depuis longtemps par celles et ceux qui ont assisté en mai dernier au colloque La Grande Guerre des Bretons 1914-2014. L’une des communications les plus marquantes de cette riche manifestation était sans conteste celle de Béatrice Touchelay portant sur la perception de la contribution exceptionnelle sur les bénéfices de guerre en Bretagne, propos neuf d’une dimension trop souvent oubliée de l’histoire de ce conflit, son histoire économique et financière. Et il est peu de dire que l’on sent dans ce documentaire la patte experte de cette enseignante à l’Université Lille 3 tant le propos est rigoureux et précis.

C’est en effet un vrai film de service public que nous propose Candela productions et France 3 Bretagne, une œuvre qui vient combler, en cette année 2014, un manque certain dans le discours relatif à la Grande Guerre. Car en nous parlant du nerf de la guerre, ce beau film de Marie-Laurence Delaunay nous expose comment la guerre dure, puisque la France parvient à surmonter la crise des munitions de l’automne 1914 par une mobilisation sans précédent de l’appareil industriel et financier, et comment elle développe un système d’action sociale pour, précisément, lutter contre les déséquilibres nés du conflit (on nous autorisera à ce propos à dire combien l’on a apprécié dans le film les interventions millimétrées de l’excellent et trop rare Jean-François Montès).

C’est donc un œuvre très pédagogique que vous pourrez découvrir sur les antennes de France 3 Ouest (Bretagne, Haute et Basse Normandie, Pays de la Loire et Centre) le 8 novembre prochain, film que l’on ne peut qu’inciter à voir tant il permet de combattre de vieilles lunes encore trop souvent entendues à l’occasion de ce centenaire. Car s’il est vrai que de nombreuses personnes profitent de la guerre – ce que rappelle très bien François Bouloc dans le documentaire à la suite de son excellente thèse sur le sujet1 – celle-ci n’est pas souhaitée par les cercles financiers. A l’encontre de la vulgate léniniste qui voit dans la guerre le « stade suprême du capitalisme »2, Marie-Laurence Delaunay montre avec une remarquable efficacité la chute des bourses lors de la crise de 1914, les conflits allant de manière structurelle à l’envers des intérêts du monde financier. Un propos d’une certaine actualité qu’il n’est sans doute pas inutile de rappeler.

En effet, ce n’est assurément pas la moindre qualité de ce film que de nous rappeler combien la France de 1914 ressemble à celle dans laquelle nous vivons. C’est chose bien connue dans le domaine militaire puisque le pays n’a alors plus connu de conflit sur son sol depuis plus de 40 ans et la terrible défaite de 1870, dimension qui contribue pour partie à une vision déréalisée du champ de bataille et à une anticipation erronée de la guerre à venir3. Or les milieux financiers ont eux aussi cru à une guerre courte et c’est donc par l’emprunt que cette guerre est en France financée. Il en résulte un discours sur la dette qui, sonnant curieusement aux oreilles tant il parait contemporain, fait froid dans le dos.

Erwan LE GALL

 

 

1 BOULOC, François, Les profiteurs de guerre 1914-1918, Paris, Complexe, 2008.

2 Sur cette approche historiographique, on renverra notamment à PROST, Antoine et WINTER, Jay, Penser la Grande Guerre. Un essai d’historiographie, Paris, Seuil, 20004.

3 Pour une illustration bretonne, on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, Une entrée en guerre. Le 47e régiment d’infanterie de Saint-Malo au combat (août 1914 – juillet 1915), Talmont-Saint-Hilaire, éditions CODEX, 2014.