Ruptures et passage de témoin

Mercredi 2 et jeudi 3 avril se tenait à l’Université Rennes 2 le colloque sur Les comportements collectifs dans la France occupée. L’occasion de voir dans la capitale bretonne quelques grands noms de la recherche historique française comme Pierre Laborie, Jean-Pierre Azéma ou bien encore Antoine Prost. Quatre sessions ont structuré ces deux journées : les constructions mémorielles et les marqueurs de la mémoire des comportements collectifs le mercredi, la transmission des représentations mémorielles et les vecteurs culturels le jeudi. Communications, débats et tables rondes ont permis un échange d'idées très intéressant, autant pour les intervenants que pour l’assistance. Ce billet n’entend d’ailleurs pas résumer les communications de ce colloque (dont les actes seront publiés, selon Jacqueline Sainclivier, au plus tôt dans un an et dont En Envor ne manquera pas d’effectuer la recension), mais juste faire part de certaines d’entre elles, particulièrement marquantes.

Dominique Borne, sur les usages du devoir de mémoire, a notamment insisté sur les usages politiques de cette notion pour montrer que finalement, Nicolas Sarkozy et François Hollande, malgré leurs appartenances partisanes divergentes, en ont une conception assez semblable. Marc Bergère a lui évoqué les temporalités d’une mémoire marginale, celle des épurés. Il est à ce propos assez étonnant de voir que leur parole, puis celle de leurs enfants et petits-enfants, connait un certain essor, en France et à l’étranger. Enfin, en traitant de la délation sous l’occupation, Laurent Joly a essayé de tordre le coup à cette idée reçue, encore bien présente, de la France « championne du monde » en la matière. Il a d’ailleurs déploré que le livre d’André Halimi1 sur cette question soit encore, pour beaucoup, source de référence.

C’est donc bien un colloque de rupture auquel nous avons assisté, une manifestation ayant proposé des remises en question : combien de fois pendant ces deux journées avons-nous entendu le mot de doxa ? A ce titre-là, pour les étudiants qui y assistaient, cela a été un moment enrichissant, source de nouvelles connaissances et de nouveaux questionnements. En outre, ce colloque a permis, à l’heure où la Première Guerre mondiale fait l’actualité en ce début de centenaire, de s’intéresser à la Seconde. A ce sujet, et quand certains parallèles sont faits à propos des deux conflits mondiaux du XXe siècle, Pierre Laborie, dans sa dernière intervention, a lui estimé qu’il n’y avait « aucune ressemblance entre la Première Guerre et la Seconde Guerre mondiale ».

Mais outre un moment de rupture, ce colloque était aussi une sorte de passage de témoin lorsque ce même Pierre Laborie a exhorté les plus jeunes chercheurs de la salle, comme Marc Bergère et Laurent Joly, à propos de leurs travaux novateurs sur la délation2, de continuer à travailler dessus. En effet, l’auteur de L’opinion française sous Vichy estime que les gens fonctionnent avec des marqueurs historiques, notamment sur cette période de l’Occupation, bien souvent erronés. Il est alors nécessaire que ces remises en question soit poursuivies, et même diffusées : c’est encore la preuve, s’il en faut une, du véritable rôle social que l’historien doit jouer.

A titre un peu plus personnel, le colloque a été l’occasion de pouvoir échanger quelques instants avec Antoine Prost. Un grand monsieur du paysage historiographique français dont les Douze leçons sur l’histoire3 permettent aux jeunes apprentis-chercheurs d’avoir une vraie réflexion sur la discipline. Et même s’il conçoit que cet ouvrage devrait être réactualisé, voire réécrit, il n’en demeure pas moins que celui-ci reste une référence. Preuve aussi qu’Antoine Prost, comme d’ailleurs tous les autres intervenants du colloque, était très ouvert à l’échange avec les étudiants présents. Ce colloque a décidément été une belle réussite et on attend avec impatience de pouvoir se plonger dans les actes.

Pierre BONNET

 

1 HALIMI, André, La délation sous l’Occupation, Paris, Le Cherche midi, 2010.

2 JOLY, Laurent (dir.), La délation dans la France des années noires, Paris, Perrin, 2012.

3 PROST, Antoine, Douze leçons sur l’histoire, Paris : Seuil, 1996.