#Somme100 : une métacommémoration ?

A en croire les réseaux sociaux, la commémoration du centenaire de la bataille de la Somme, au mémorial franco-britannique de Thiepval, a fait l’unanimité. Sur place, l’émotion était largement palpable dans une assistance nombreuse – plus de 10 000 personnes – et les commentaires étaient pour la plupart très enthousiastes. Mais au-delà de cette impression d’ensemble, quelques remarques rapides s’imposent.

A Thiepval, lors des commémorations du centenaire de la bataille de la Somme. Cliché Erwan Le Gall.

Tout d’abord, et la chose n’était peut-être pas forcément perceptible à la télévision, il faut dire combien la logistique britannique a été remarquable lors de cette commémoration. Une fois entré sur le site et franchis les barrages de sécurité, il était possible de déambuler dans une sorte de « fan zone » où l’on pouvait admirer d’anciens avions de la Première Guerre mondiale ou déguster – gratuitement ! – un thé et quelques muffins. De même, l’organisation avait prévu des paniers repas pour tout le public : une manière agréable de faire patienter la foule pendant l’évacuation des lieux une fois la cérémonie achevée et qui contraste grandement avec ce que l’on a pu observer en France. Mais il est vrai qu’en la matière notre dernière expérience significative remonte au 8 mai 2011, délocalisé à Port-Louis dans le Morbihan, et que la situation était peut-être différente lors du centenaire de la bataille de Verdun.

Le souvenir des récentes polémiques était justement dans toutes les têtes et nombreuses sont les personnes à avoir non seulement fait le parallèle avec ce centenaire de la Somme mais à s’être félicitées du format de la cérémonie, sans discours d’hommes politiques mais avec des lectures de témoignages de combattants. Beaucoup y ont d’ailleurs vu un retrait du politique derrière les impératifs de la mémoire et de l’histoire. On nous permettra d’être à ce propos plus nuancé, certains symboles ayant une évidente portée politique à l’instar de la présence du Président de la République française quelques jours seulement après le référendum sur le Brexit. L’Elysée aurait difficilement pu rappeler avec plus de solennité la force des liens unissant Paris et Londres. De même, on se doit de relever la participation d’un imam à ces commémorations, symbole qui à l’évidence dépasse le simple cadre de l’œcuménisme.

Dès lors, une question évidente se pose : une telle scénographie n’a-t-elle pas d’un coup périmé tout le cérémonial français ? La veille de cette commémoration, l’historien américain Jay Winter proposait lors d’une conférence organisée à l’Historial de la Grande Guerre de Péronne le concept de métabataille à propos de la Somme, notion s’appliquant à des combats qui transforment l’idée même de guerre. Dès lors, ne faut-il pas considérer cette cérémonie du centenaire de la bataille de la Somme comme une métacommémoration ? La présence du footballeur Sole Campbell et d’acteurs de la série Games of Thrones ou d’Harry Potter ne peut à cet égard manquer d’interpeller alors que l’une des priorités des organisateurs de toute cérémonie commémorative en France est de faire en sorte que la jeunesse soit présente. A en croire les premières analyses de Frédéric Clavert sur les mots-clefs utilisés par twitter lors de ce centenaire, le hashtag #RemeberanceisEveryday lancé par les autorités britanniques n’a pas rencontré énormément de succès, balayé par le plus simple #Somme100. Mais au moins témoigne-t-il d’une véritable stratégie numérique, alors que certains sites d’institutions publiques françaises en charge de ces mêmes « politiques de mémoire » peinent à être réactualisés une fois par mois. Si le défi 1 jour 1 poilu est un réel succès, il faut rappeler qu’il s’agit d’une initiative complètement privée, qui n’a au départ absolument rien à voir avec les pouvoirs publics.

Le leader travaillliste Jeremy Corbyn lors de ces commémorations du centenaire de la bataille de la Somme. Cliché Tristan Rondeau.

La situation est d’autant plus cruelle que la bataille de la Somme est l’histoire d’une discordance des temps entre des troupes britanniques qui continuent à attaquer avec de gros bataillons, comme en août 1914, et des forces françaises qui diluent leurs effectifs, et qui commencent à s’appuyer sur des corps spécialisés de grenadiers, de mitrailleurs… Cent ans après, c’est bien le sentiment inverse qui prédomine, comme si la France avait plusieurs wagons de retard sur le Royaume-Uni. Et la polémique naissante sur la censure de la Chanson de Craonne par le Secrétaire d’Etat aux anciens combattants et victimes de guerre lors d’une commémoration ayant eu lieu à Fricourt ce même 1er juillet ne fait que confirmer cette impression. De quoi enfin augurer d’un passage des commémorations françaises dans le XXIe siècle ?

Erwan LE GALL