A propos de la rue de Belgique à Lorient

Il s’agit d’un court entrefilet intitulé « Dans le rétro » publié dans Le Télégramme en partenariat avec les Archives municipales de Lorient. Rehaussé d’une carte postale ancienne, le texte explicite le nom de la rue de Belgique de la sous-préfecture du Morbihan en rappelant que cette dénomination est un « hommage à nos alliés belges de la guerre 14-18 »1. Or, si ce commentaire est loin d’être faux, on nous permettra toutefois d’apporter quelques précisions tant celui-ci semble éluder une dimension importante du sens du nom de cette voie publique.

La rue de Belgique débouche sur le cours de Chazelles. Carte postale. Collection particulière.

A l’évidence, la dénomination rue de Belgique exprime la solidarité et la proximité de la commune envers un pays considéré comme ami et peut être rapprochée de la décision du conseil du municipal de Lorient d’octroyer, le 25 août 1956, une subvention de 100 000 francs aux victimes de la catastrophe de Marcinelle. Quelques jours plus tôt, en effet, un incendie se déclenche dans le charbonnage du Bois du Cazier et cause la mort de 262 mineurs, suscitant une vive émotion et notamment au sein de la classe ouvrière. D’ailleurs, pour le secrétaire de la fédération morbihannaise du parti communiste et conseiller municipal Roger Le Hyaric, il s’agit là de « victimes du régime capitaliste » et c’est bien au nom de ce combat qu’est votée cette subvention2. Pour paraphraser celui qui fut un éminent responsable des FTP du Morbihan, ce sont bien les « victimes de l’Allemagne » que permet, d’une certaine manière, d’honorer la dénomination rue de Belgique : manière subtile de rappeler le patriotisme défensif et le sens de cette guerre.

Néanmoins, le sens d’une dénomination de voie ne saurait être totalement compris si l’on ne s’arrête pas quelques instants au moins sur la manière dont la petite plaque bleue est lue, reçue, comprise par les habitants. Bien évidemment, faute d’archives, c’est bien souvent au niveau des supputations qu’il convient de rester. Pour autant, dans une ville comme Lorient, commune dont on sait l’attachement aux fusiliers marins mais aussi au 62e régiment d’infanterie, il est plus que probable que la rue de Belgique évoque également le souvenir des batailles très meurtrières de Dixmude et de Maissin. D’ailleurs, c’est en 1917 qu’est dénommée dans la sous-préfecture du Morbihan une place de l’Yser, nouveau nom venant – et le symbole est tout sauf anodin – rebaptiser la place de la Liberté3.

Carte postale. Collection particulière.

   Toutefois, il serait probablement hasardeux d’opposer autour de ces plaques émaillées bleues deux mémoires concurrentielles, l’une venant « d’en haut » qui louerait l’Union sacrée et la cohésion avec les alliés et l’autre, venant « d’en bas », qui serait d’avantage l’expression d’un deuil massif. Avancer ceci serait faire peu de cas de l’épineuse question des réfugiés – ces fameux Boches du nord – mais aussi de la sincère peine ressentie, en 1934, lors de la mort accidentelle du roi Albert. Cela serait surtout réduire à une vision binaire l’extraordinaire camaïeu des représentations mentales, complexité qui invite obligatoirement à une certaine prudence lorsqu’il est question de mémoire collective.

Erwan LE GALL

 

1 « Dans le rétro », Le Télégramme (édition Lorient-commune), Vendredi 3 avril 2015.

2 Arch. Mun. Lorient : 1 D 178, Délibération du Conseil municipal du 25 août 1956, « Catastrophe de Marcinelle (Belgique), Hommage aux victimes et vote d’une subvention en faveur de leurs familles ».

3 Arch. Mun. Lorient : 1 D 103, Délibération du Conseil municipal du 28 février 1917, « Dénomination de voies publiques. Avenue de la Marne, Rue de Verdun, Place de l'Yser ».