Une nouvelle renversante : la mort d’Albert 1er

En ce 19 février 1934, la nouvelle, dramatique, barre la première page de L’Ouest-Eclair : « Albert 1er, roi des Belges, se tue accidentellement au cours d’une ascension en montagne près de Namur ». Il n’est après tout pas étonnant que le grand quotidien rennais consacre ainsi sa une à la mort soudaine d’un chef d’Etat étranger. Bien d’autres suivront, de Kennedy à Mandela. Ce qui frappe, en revanche, c’est que cette nouvelle est annoncée comme étant « un grand deuil franco-belge ».

La mort d’Albert 1er illustre en effet la force des liens qui unissent la France, et la Bretagne, à la Belgique. L’Ouest-Eclair prend d’ailleurs d’une manière extrêmement révélatrice les devants en débutant son éditorial en déclarant « Nous savons quelle émotion douloureuse provoquera chez nos lecteurs la triste nouvelle que nous leur apportons aujourd’hui ». Si ce deuil est si durement ressenti en Bretagne, c’est bien entendu du fait des liens tissés avec la Belgique pendant la Grande Guerre : Charleroi, Ypres, Dixmude sont autant de haut-lieux de la mémoire combattante bretonne, ce sans même évoquer la question des réfugiés, nombreux à venir s’installer dans la péninsule armoricaine.

Albert 1er, sur un champ de bataille pendant la Première Guerre mondiale. Wikicommons.

Toutefois, on ne peut considérer la mort de ce souverain sans évoquer la part de mythe qui, toute sa vie, l’entoure. Il est à cet égard frappant de lire dans L’Ouest-Eclair que « devant la dépouille d’Albert 1er dont la chevaleresque attitude a peut-être sauvé la France et la civilisation européenne, notre Patrie s’incline et médite l’exemple ». Cette phrase est d’une grande importance, et à plus d’un titre.

Bien entendu, « la chevaleresque attitude » de la Belgique en 1914 peut prêter à sourire puisque c’est en réalité en protectrice de ce royaume que la France entre en guerre, la question de la violation de la neutralité de Bruxelles par Berlin étant érigée par Paris en véritable casus belli. De même, dans la synthèse qu’il consacre à la Belgique dans la Grande Guerre1, M. Bourlet rappelle bien que « dans son ensemble, la France est toujours perçue comme une menace pour l’indépendance politique et économique de la Belgique ». L’une des principales tâches d’Albert à la tête de son royaume est en effet de garantir l’indépendance nationale vis-à-vis… de ses alliés, priorité qui passe par un savant truchement du militaire et du diplomatique. On voit donc que cet éditorial de L’Ouest-Eclair consacre, vingt ans après les faits, un complet renversement des représentations.

A Marche-les-Dames, le monument en mémoire du roi Albert 1er, sur les lieux du drame. Wikicommons / Michiel Hendryckx.

Mais, loin d’être anecdotique, ce phénomène doit se comprendre dans un discours très contemporain, la mémoire se révélant une fois encore un excellent outil politique du temps présent. La mort d’Albert survient en effet le 17 février, lors de l’ascension d’une falaise de l’escarpée vallée de la Meuse, le Roi étant féru d’alpinisme. Deux jours après, le drame est annoncé par L’Ouest-Eclair, soit une semaine après la contre-manifestation du 12 février 1934 en réaction aux émeutes parisiennes du 6, dont on sait qu’elles ne sont pas sans effet en Bretagne.

Or, comme il est d’usage en pareille occasion, la presse dote le défunt de toutes les vertus imaginables, la première d’entre elle étant probablement la probité. Là encore, une telle construction n’est pas neuve et prend clairement, dans le cadre d’Albert 1er, ses racines dans la Première Guerre mondiale, moment qui consacre sa grande popularité sur le plan international. Mais, en ce tumultueux mois de février 1934, ces qualités revêtent pour L’Ouest-Eclair une signification nouvelle, le quotidien rennais écrivant : « Sa mort inattendue, brutale, doit rappeler aux hommes de chez nous, secoués par la passion politique et tiraillés par l’inquiétude économique, que la simplicité dans le patriotisme et la générosité dans l’abnégation sont, avec la foi dans les destinées du pays, les surs garants de la victoire morale, de la tranquillité sociale et de la paix. »

Si la mort d’Albert 1er est un véritable drame et est très probablement perçue comme telle, de manière très sincère, en Bretagne, elle n’en demeure pas moins l’occasion d’une leçon politique qu’administre L’Ouest-Eclair à la classe dirigeante.

Erwan LE GALL

 

1 BOURLET, Michaël, La Belgique et la Grande Guerre, Paris, SOTECA, 2012, p. 155.