Coutumes et superstitions : le mémorial de Sainte-Anne-d’Auray vu par la presse socialiste

 

Depuis 1926, la Fédération socialiste du Morbihan publie son journal officiel : Le Rappel du Morbihan. L’intention de l’hebdomadaire est clairement affichée dans le titre : il est « d’Action laïque et Républicaine ». Il n’est donc pas surprenant de retrouver dans ses colonnes une rubrique régulière intitulée « enquête sur les coutumes et superstitions locales ». L’occasion est belle de critiquer les dons effectués par les nombreux croyants des paroisses morbihannaises ; offrandes qui leur permettraient de guérir, de protéger leur cheptel… Pour autant, ce ne sont pas tant les fidèles qui sont ici sous le feu des critiques – le journaliste prenant soin de les appeler « camarades » – que l’autorité religieuse qui abuse de leur crédulité.

La construction du mémorial des bretons morts pour la France à Sainte-Anne-d'Auray: état du monument au cours de l'édification de la chapelle au dessus de la crypte. Arch. Dép. Morbihan: 32 Fi 7.

L’anticléricalisme est non seulement très présent mais particulièrement militant dans le but d’éveiller les consciences dans les très pieuses campagnes morbihannaises. Mais en cette fin du mois de février 1934, il prend une tournure résolument politique. L’objet de la critique de l’édition du samedi 24 février sort en effet, de l’aveu même de l’équipe du Rappel du Morbihan, « du cadre de notre enquête sur les superstitions » 1. Elle est cette fois-ci consacrée au mémorial  de Sainte-Anne-d’Auray érigé en mémoire des combattants bretons morts pour la France pendant la Première Guerre mondiale.

Ce n’est pas tant la nature d’un tel édifice – on pense par exemple à « l’inflation des morts » et à la question des 240 000 Bretons – qui est contestée que l’utilisation qui en est faite. En effet, initialement, le projet imaginé en décembre 1918 par Charles Chaussepied, architecte des monuments historiques de Quimper, devait voir le jour sur le mont Saint-Michel-de-Braspart (Finistère)2. « Dans leur naïve candeur », de nombreux Bretons ont cru en ce choix, précise le journaliste socialiste. Ce fut sans compter sur la témérité de l’évêque de Vannes, Monseigneur Gouraud. Ce dernier parvient à délocaliser le projet à Sainte-Anne-d’Auray. Or, si le nouveau site ne pose aucun problème pour de nombreux fidèles, il apparaît aberrant pour ses opposants. En effet, le terrain retenu est une vraie « prairie marécageuse » dont l’aménagement s’est en conséquence fait « à coup de millions » selon ce même journaliste. L’argumentaire est rondement mené. Pour Le Rappel du Morbihan, la seule raison qui justifie la présence à Sainte-Anne-d’Auray est encore une fois pécuniaire. Dès la construction, « chaque famille a dû payer sa pierre » et pire, contre tout respect du souvenir, le mémorial est devenu une véritable foire commerciale où « prières et objets de piété les plus divers sont vendus sans chipotage ». Encore une fois, c’est bien l’autorité religieuse qui est vigoureusement critiquée, bien plus que les croyances.

La construction du mémorial des bretons morts pour la France à Sainte-Anne-d'Auray: Travaux de terrassements, évacuation des gravats par wagonnets. Arch. Dép. Morbihan: 32 Fi 8.

La portée de tels articles doit être nuancée dans la mesure où elle est destinée à un lectorat déjà acquis à la cause anticléricale. Mais, pour qui s’intéresse à l’histoire de l’entre-deux-guerres, ils témoignent parfaitement des rivalités prégnantes dans le département entre les autorités religieuses et républicaines. L’enjeu est d’autant plus important qu’au sortir de la guerre, la prise en charge du deuil est l’objet de rivalités. Si les autorités religieuses estiment en être les dépositaires naturels, c’est également le cas des autorités civiles. La précocité de ces rivalités met parfaitement à jour les failles d’une Union sacrée de façade. C’est très certainement l’une des raisons pour laquelle elle se disloque aussi rapidement lorsque les hostilités cessent.

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 « Les saints guérisseurs au pays d’Auray », Le Rappel du Morbihan, 24 février 1924, n°675, p. 3.

2 Sur ce point voire, LE MOIGNE, Frédéric, « Le mémorial régional de la Grande Guerre à Sainte-Anne-d’Auray », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 113-4, 2006, p. 49-76.