Lorient et son monument aux morts numérique

Invité sur France culture à l’occasion des commémorations du 11 novembre 2017, Joseph Zimet, directeur général de la mission du centenaire de la Première Guerre mondiale, insiste sur l’importance du réseau internet comme vecteur du souvenir. En effet, dans le monde de l’instantané et du « à la demande 24 heures sur 24 » qui est aujourd’hui le nôtre, la cérémonie devant le monument aux morts à date et heure fixe est un modèle qui, bien que conservant toute son importance du point de vue symbolique, est en tant que pratique culturelle complètement dépassé. Le succès du défi 1 jour 1 poilu initié par Jean-Michel Gilot en témoigne d’ailleurs parfaitement. En Bretagne, une ville plus toute autre semble incarner cette réalité : Lorient.

Carte postale. Collection particulière.

On sait l’histoire tumultueuse du monument aux morts de cette sous-préfecture du Morbihan. Au cœur de nombreuses tensions politiques, qui s’incarnent dans le choix même de la statuaire, la conservatrice Union nationale des combattants souhaitant que soient figurés des marins et des soldats et non un ouvrier et un marin-pêcheur, il n’est inauguré qu’en 1932. Déplacé du cours de Chazelles à la place Louis Glotin en octobre 1961, le monument retrouve la polémique au cours des années 2010 lorsque vient la question d’y faire graver les noms des morts pour la France de la ville : ceux-ci n’étant pas répertoriés avec certitude, nul ne souhaite prendre la responsabilité de graver dans le marbre commémoratif une liste erronée ou incomplète. Pire, certaines voix s’élèvent pour réclamer une relocalisation de l’édifice, celui-ci se trouvant confronté chaque été aux vicissitudes des réjouissances interceltiques lors du célèbre festival…

Sans doute est-ce ce contexte particulier qui explique pourquoi la municipalité vient de se doter d’un nouveau site internet dédié aux Lorientais morts pour la France, véritable cénotaphe numérique. Simple, fonctionnel, il permet en quelques clics d’accéder aux informations élémentaires telles que le nom, le prénom, la date et le lieu de naissance et de décès. Détail intéressant, une entrée est réservée pour distinguer les victimes civiles des militaires, ce qui n’est pas anodin dans une ville où les bombardements restent un traumatisme solidement ancré dans les mémoires. Autre élément intéressant, quelques éléments de contextualisation permettent aux internautes d’en savoir plus sur les différents conflits auxquels renvoient ces défunts et invitent à consulter les archives municipales, pour mieux passer de la mémoire à l’histoire. Une démarche à laquelle on ne peut bien évidemment que souscrire.

Pourtant, un esprit critique ne manquera pas de souligner l’étonnant paradoxe que constitue ce site communal. En effet, on trouve moins d’informations sur les notices de ces Lorientais morts pour la France que sur la base de données Mémoire des hommes, elle aussi disponible en ligne et indexée grâce à l’équipe d’annotateurs agrégés sous le label 1 jour 1 poilu. De même, on ne peut que s’étonner de constater l’absence, en ce qui concerne les victimes de la Grande Guerre, de liens vers les fiches de matricules de recrutement, celles du bureau de Lorient étant par ailleurs consultables en quelques clics sur l’efficace site des Archives départementales du Morbihan. Ce serait pourtant faire fausse route que de stigmatiser ici un mille-feuille numérique renvoyant à celui des collectivités territoriales.

Une interface simple, rapide et efficace.

Certes, on peut regretter que les possibilités de mise en réseau informationnel qu’offre le numérique ne soient pas ici plus exploitées. Mais là n’est sans doute pas l’objectif de ce site. Il est en effet moins une plateforme sur laquelle sont hébergées les datas archivistiques des Lorientais morts pour la France qu’un vecteur 2.0 du souvenir, illustration même du propos de Joseph Zimet sur les pratiques mémorielles digitales. Si la sous-préfecture avait pu paraître en retard en novembre 1932 lorsqu’elle inaugure son monument, c’est bien l’impression inverse qui prédomine à l’occasion du 99e anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918, avec la mise en ligne de ce site singulier. Reste à savoir maintenant comment celui-ci influencera les pratiques commémoratives…

Erwan LE GALL