Napoléon est-il Breton ?

« Napoléon a été empoisonné par les Anglais », « Napoléon n’est pas mort à Sainte-Hélène, mais s’est enfui en Amérique », « Napoléon soutient Vichy » : nombreuses sont les légendes qui entourent le souvenir de l’Empereur. C’est d’ailleurs sans doute à cela que l’on distingue un grand homme. Mais il est une autre rumeur qui ressurgit régulièrement en Bretagne : « Napoléon est-il Breton ? »

Napoléon et ses généraux en Egypte. Toile de Jean-Léon Gérôme. Wikicommons.

Cette question, loufoque au premier abord, est pourtant sérieusement posée dans le journal Le Breton de Paris en 1914.1 Un certain Kerily, lecteur du journal de la communauté bretonne de la capitale, parle « d’une très curieuse tradition, qui a cours encore dans la région, [qui] attribue au comte de Marbeuf lui-même la paternité du grand capitaine ».  En effet, Charles Louis de Marbeuf, né à Rennes en 1712 dans une grande famille bretonne de militaires et de parlementaires, fréquente la Corse dans ces années, puisqu’il est nommé gouverneur de l’île après sa victoire sur les troupes paolistes à Ponte Novu en mai 1769. Toujours d’après l’article, citant un certain comte d’Hérisson, Marbeuf « avait pour Mme Loetizia [la mère de Napoléon] des sentiments beaucoup plus tendres que ne le sont en général ceux d’un administrateur envers une administrée ». Il est vrai que les Bonaparte, une famille noble d’Ajaccio, se rallient à la France après l’annexion et côtoient alors le gouverneur de l’île. En signe de reconnaissance, Marbeuf obtient pour Charles Bonaparte « des bourses pour ses fils, [de faire] entrer gratuitement au couvent sa fille Elisa et admettre Napoléon à l’Ecole de Brienne ». Des faveurs qui alimentent la rumeur d’une paternité illégitime.

Mais loin d’une simple ascendance bretonne de Napoléon, l’article pose également la question de la naissance du futur Empereur sur les terres bretonnes. Il serait ainsi né au château de Penanvern à Sainte-Sève près de Morlaix, sur les terres de la famille Marbeuf. La preuve en serait que « quatre feuillets » des registres paroissiaux « entre 1768 et 1770 » auraient été arrachés par « un envoyé du préfet Richard » à l’époque du règne de Napoléon Ier. Si la lacune documentaire existe bien dans la collection communale des registres paroissiaux, la collection départementale est quant à elle bien intacte et on n’y trouve aucune mention de la naissance d’un petit Napoléon… Même le prénom de l’enfant rappellerait cette naissance bretonne, puisqu’il renverrait à des jeux de mots : Mab al Leon soit « fils du Léon » en breton, ou bien Na Pol Leon pour « né à Saint-Pol-de-Léon ». Un postulat qui méprise pourtant le caractère courant du prénom Napoleone dans la société corse du XVIIIe siècle fortement marquée par l’ancienne domination génoise.

Carte postale. Collection particulière.

Un siècle plus tard, la rumeur de l’origine bretonne de Napoléon est loin d’être essoufflée et ressort régulièrement dans la presse régionale, dans les librairies et plus encore sur internet. Il est vrai qu’à l’heure de la diffusion massive et instantanée de l’information – de la plus fondée à la plus farfelue ! –  celle-ci a de quoi trouver un bel écho en Bretagne. Tous les ingrédients sont réunis pour faire du buzz ! Pour réussir ce cocktail, prenez une dose de fierté bretonne de voir un personnage historique mondialement connu devenir l’un des leurs ; une grande quantité de théorie du complot qui démontrerait une nouvelle fois que « l’histoire officielle » cache « la vérité » ; ainsi qu’un soupçon de secrets d’alcôve digne de la presse people contemporaine.

Thomas PERRONO

 

 

1 Arch. dép. I&V : 1 Per 1197, « Napoléon Ier serait-il né en Bretagne ? », Le Breton de Paris, dimanche 17 mai 1914.