Quand Napoléon soutient Vichy

En novembre 1940, le régime de Vichy reçoit un improbable soutien, celui de l’homme qui incarne probablement le mieux la grandeur de la France dans l’esprit des Français : Napoléon Bonaparte. Souhaitant s’exprimer aux Français, il apparaît sous la forme d’un « songe » à René-Armand Coindet, collaborateur régulier du quotidien Le Nouvelliste du Morbihan. Quelques jours plus tard, le 8 décembre, alors que le pays commémore le centenaire du retour des cendres de l’ancien Empereur aux Invalides, le 15 décembre 18401, le journal décide de publier ce « témoignage » exclusif2. En fin observateur, le Corse livre son impression sur l’actualité. Il approuve le régime de Vichy, l’occupant allemand et de manière générale, la collaboration.

Le tombeau de Napoléon aux Invalides. Carte postale. Collection particulière.

Son premier constat porte sur le nouveau régime imposé par Philippe Pétain et Pierre Laval. Le caractère autoritaire de l’Etat français est, selon lui, une nécessité pour redresser le pays. En effet, depuis des décennies, la France s’est égarée dans « la persistance à se dire que la démocratie est le meilleur des régimes ». Pour convaincre les sceptiques il conseille :

« comptez seulement les retentissants scandales de votre IIIe République depuis son avènement : les Décorations, Panama, Dreyfus, l’affaire Caillaux-Calmette, Oustric, Hanau, Stavisky, Prince, et j’en passe… »

La fin justifie donc les moyens. Ces derniers doivent alors être radicaux comme de se doter « d’une bonne police d’Etat – dans le genre de celle que Fouché et Savary avaient su me fabriquer ».

Dans cette même optique, le spectre de Napoléon approuve totalement la collaboration avec l’occupant. Selon lui, l’Allemagne est une locomotive essentielle au relèvement de la France au sein d’Europe nazie. Il exprime alors son « regret » quant au choix fait, en 1939, de se battre contre ses véritables alliés au lieu de participer à « l’opération de police menée par l’Allemagne et l’Italie ». Cette erreur, il l’explique par la volonté délibérée des juifs et des Britanniques de discréditer les lucides discours du Führer :

« Les éditions de Mein Kampf distribuées en France par des éditeurs juifs ont subi d’odieuses transformations sur l’ordre des ploutocrates de Londres. Pas un seul des discours d’Adolf Hitler n’a été traduit dans son sens véritable. »

Les ennemis de la « Reconstruction nationale » sont donc clairement identifiés. Plus que jamais, il considère l’Angleterre, son ennemi intime, comme « la lèpre et la teigne du monde ». Ce discours est d’autant plus porteur dans la région lorientaise que celle-ci subit régulièrement les bombardements de la R.A.F. Ainsi, deux jours auparavant, Le Nouvelliste titrait de manière éloquente : « Le dernier exploit de la R.A.F. à Lorient : 3 morts, 12 blessés dans la population civile… et il y a peut-être des gens qui ne veulent pas comprendre »3. Enfin, pour enfoncer le clou, Napoléon rappelle la félonie du soi-disant allié de toujours, celui qui a provoqué la mort de dizaines de marins morbihannais dans les Dardanelles lors de la Grande Guerre ou encore lors de l’« assassinat prémédité » de la flotte à Mers-el-Kébir le 3 juillet 1940.

Collection particulière.

En quelques lignes Bonaparte semble apporter l’espoir d’un avenir meilleur pour ceux qui s’engageraient dans le sillage du Maréchal Pétain et de sa « Reconstruction nationale ». Celui d’une France non démocratique incorporée dans une Europe allemande dont la grandeur rappellerait celle de Napoléon. Tous les ingrédients d’une bonne propagande sont donc présents dans cet article métaphorique et pro-collaboration, dans la continuité éditoriale du quotidien. Il n’est donc pas surprenant de retrouver, dès la page suivante, l’éloge de la carrière politique de Pierre Laval. L’auteur, J. de Granvilliers, vante alors la confiance accordée par le Maréchal à cet homme « de bon sens, ingénieux et décidé » 4. Pourtant, sa prophétie ne résiste pas aux commémorations napoléoniennes de cette fin d’année 1940. C’est en effet le retour des cendres de l’Aiglon (Napoléon II) aux Invalides qui provoque une grave crise interne. Pierre Laval est renvoyé le 13 décembre mais ça, aucun journaliste ni aucun mort ne l’avait annoncé.

Yves-Marie EVANNO

 

1 « La radiodiffusion nationale va commémorer du 8 au 15 décembre le retour des cendres de Napoléon », Le Nouvelliste du Morbihan, 7 décembre 1940, 54e année, n°285, p. 1.

2 COINDET, René-Armand, « Un songe que j’ai fait », Le Nouvelliste du Morbihan, 8 décembre 1940, 54e année, n°286, p. 1.

3 « Le dernier exploit de la R.A.F. à Lorient », Le Nouvelliste du Morbihan, 6 décembre 1940, 54e année, n°284, p. 1.

4 DE GRANVILLIERS, Jean, « La carrière de M. Pierre Laval », Le Nouvelliste du Morbihan, 8 décembre 1940, 54e année, n°286, p. 2.