Des légumes qu'on avait oubliés 

L’occupation allemande conduit en Bretagne comme partout en France à de fortes restrictions alimentaires. Du fait de la sexuation des rôles sociaux, les ménagères adoptent la cuisine de circonstance, art permettant de sauver les apparences mais qui trahit bien les difficultés alimentaires de la population (dimension à ne pas négliger dans un pays comme la France où la table tient une place centrale). C’est ainsi par exemple que l’élevage du lapin est encouragé par les autorités de Vichy, les ménages pouvant utiliser sa viande pour se nourrir et sa peau pour se vêtir.

Un clapier dans une chambre, une jardinière sur un balcon1 … améliorer ses rations quotidiennes relève souvent d'ingéniosité sous l'Occupation. Le système D consiste parfois à se remémorer des pratiques délaissées. Les pêcheurs de Belle-Ile et Concarneau reprennent ainsi la pêche au requin pèlerin2. Le squale offre en effet des qualités essentielles pour parer aux restrictions : la chair est consommable, l'huile de foie sert pour les fritures (à condition de faire préalablement revenir des oignons pour atténuer son goût prononcé), pour l'éclairage ... Même les déchets sont recyclés en engrais ! En somme, tout est bon dans le pèlerin ! La mer offre en général une bonne source de provision à celui qui peut s'en approcher. Rappelons en effet qu'une zone côtière interdite est mise en place en octobre 1941. Son accès est dès lors limité aux habitants, aux détenteurs d'un Ausweis et … aux audacieux.

Rustica du 8 novembre 1942. Delcampe.

Sur le littoral il y a la pêche à pied3, pour les citadins, il y a le jardinage. Une véritable mode qui conduit à la mise en culture de terrains pour le moins … surprenants. Les jardins du Louvre, sont ainsi transformés en potager par le Secours national en septembre 19434. Alors cultiver oui, mais quoi ? Les magazines spécialisés viennent en aide aux néophytes. La Une de Rustica du 8 novembre 19425 prodigue de précieux conseils sur les « légumes oubliés » qui reviennent « en masse » sur les marchés : rutabagas, choux-rouges, topinambours … Avant la guerre, ces derniers étaient abandonnés « aux bestiaux », désormais ils ont une place à part entière dans les assiettes en raison de leurs nombreuses qualités qui permettent de faire face à la situation du moment. Leur culture est souvent rapide (soit « 7 à 8 semaines pour le chou rouge ») et nécessite peu de « soins » à l'image de l'ansérine.

Aussi fougères, orties et autres chénopodes blancs (plus couramment appelés « mauvaises herbes ») s'avèrent un parfait substitut alimentaire. Par exemple, les feuilles de chénopodes remplacent parfaitement les épinards dans un plat. Les légumes oubliés reviennent donc par la force des choses à la mode et investissent même les paroles de chansons populaires6. Face aux nouveaux menus peu appétissants, les paroliers incitent à garder espoir puisqu'après tout, comme écrit René Nazelles : « Ça r'viendra. On se tap'ra la tête. Ça r'viendra. Les ragouts, les blanquettes. Ça r'viendra. Les soupes à l'oignon, les tranches de jambon, les gigots d'mouton, les gros mirotons, les oies, les dindons ... »7.

Yves-Marie EVANNO

 

1 ALARY, Eric, Les Français au quotidien, 1939-1949, Paris, Perrin, 2006.

2 EVANNO, Yves-Marie, La pêche et le tourisme dans le Morbihan à l’épreuve de la guerre (1939-1945), Rennes 2, Mémoire de Master 2 sous la direction de BERGERE, Marc, 2008, p. 81.

3 FICHOU, Jean-Christophe, Les pêcheurs bretons durant la seconde guerre mondiale, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2009.

4 « La France sous l'Occupation », Géo Histoire, Hors-Série, septembre-octobre 2011, p.16-17.

5 « Des légumes qu'on avait oubliés », Rustica, 15e année, n°45, 8 novembre 1942, p.1.

6 CORNUEAU, Sylvain, A chacun sa chanson : Pénuries et restrictions 1939-1945, IEP, Université Lyon 2, Mémoire sous la direction de DOUZOU, Laurent, 2003.

7 « Ca r'viendra », créée par Georgette Plana, paroles de René Nazelles, musique de Léon Montagné, Paris, Salabert.