Anatole Deibler, l’homme qui n’a pas perdu la tête

Il y a  des noms qui ne laissent pas de marbre. Anatole Deibler fait partie de ceux-là. Avec 395 têtes à son actif, il est, au début du XXe siècle, le bourreau le plus célèbre de France. Détesté par les uns, admiré par les autres, il devient même un personnage incontournable du paysage médiatique national. Or, peu le savent, mais c’est un Breton dont le destin semble, dès la naissance, tout tracé, étant lui-même issu d’une longue lignée de bourreaux.

Carte postale. Collection particulière.

Anatole Deibler naît en effet à Rennes le 29 novembre 1863. Son destin semble déjà tout tracé. Fils aîné du bourreau Louis Deibler, il est également, par sa mère, le petit fils du bourreau Antoine Rasseneux. C’est donc sans surprise qu’une fois ses études terminées, il rejoint son grand-père à Alger afin d’y apprendre les rudiments du métier. Après avoir pris part à ses premières exécutions en Afrique du Nord, il saisit l’opportunité de rejoindre son père à Paris en 1890. Pendant près de dix ans, Louis Deibler transmet à son fils les secrets qui lui avaient été transmis, quelques décennies plus tôt, par son propre père. Louis Deibler décidant de se retirer en 1899, il laisse la suite de l’entreprise familiale à son fils, Anatole Deibler.

Malgré son souhait de rester un homme de l’ombre, le quadragénaire devient très vite un personnage médiatique. Il faut dire que son nom est rapidement associé à l’exécution de célèbres criminels comme Santo Jeronimio Caserio qui, en 1894, poignarde mortellement le président de la République Sadi Carnot. De surcroît, à raison d’une dizaine d’exécutions par an, les lecteurs des principaux quotidiens finissent par se familiariser avec le nom facilement identifiable du bourreau. Mais la carrière du Rennais est soudainement interrompue en 1906, suite à l’arrivée d’Armand Fallières à l’Elysée. Le nouveau président de la République, partisan de l’abolition de la peine capitale, prend le parti de gracier l’ensemble des condamnés, en attendant que la question soit débattue au Parlement. Anatole Deibler regrette alors d’être obligé de subir la première tentative de « suppression de la peine de mort »1. En 1909, après le rejet du projet de loi, Armand Fallières change de posture : il ne s’oppose plus aux exécutions. Après trois années de chômage forcé, Anatole Deibler peut donc reprendre la route avec son inséparable guillotine.

Près de vingt-cinq ans plus tard, le bourreau ressent de plus en plus le poids de l’âge. En juillet 1932, après avoir exécuté Paul Gorguloff, l’assassin du président de la République Paul Doumer, il décide de se retirer2. Mais, à près de 70 ans, la direction des Affaires criminelles parvient à le convaincre de continuer. S’il accepte la proposition, il en profite néanmoins pour désigner un successeur. N’ayant pas de fils, Anatole Deibler décide d’introniser son neveu André Obrecht, avec qui il travaille depuis de nombreuses années.

Le meurtrier et violeur Albert Fournier, exécuté par Anatole Deibler à Tours en février 1920. Cliché : boisdejustice.com

Le 2 février 1939, Anatole Deibler s’effondre soudainement dans un escalier de la station de métro Porte de Saint-Cloud3. Il vient d’être victime d’un infarctus. Dès le lendemain, sa mort est largement commentée dans la presse nationale. Un chapitre de l’histoire de la peine de mort vient de se fermer. Ironie du sort, Anatole Deibler était sur le point d’arriver à la gare Montparnasse afin de rejoindre sa ville natale. C’est en effet à Rennes, le 4 février, qu’il devait trancher la tête de Maurice Pilorge. Commencée en Bretagne, c’est bien sur les marches de sa province natale que se termine l’histoire d’Anatole Deibler.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

 

 

1 TOURANCHEAU, Patricia, « Et le couperet lui coupa la parole…», Libération, 6 février 2003, en ligne.

2 « La mort subite de M. Deibler », L’Ouest-Eclair, 3 février 1939, p. 2.

3  « Deibler est mort à 76 ans », Paris Soir, 3 février 1939, p. 1.