Au tour de la caserne Saint-Georges !

Moins d’un an après le terrible sinistre qui ravage l’Hôtel de Ville, drame qui survient deux siècles quasiment jour pour jour après le grand incendie de 1720, Rennes est de nouveau la proie des flammes. Cette fois-ci, en cette nuit du 4 au 5 août 1921, c’est la caserne Saint-Georges, majestueux édifice faisant face à la gare, qui est touchée et, comme toujours, la presse locale se révèle être une excellente source pour revenir sur le détail de ce fait divers.

Carte postale. Collection particulière.

La nouvelle fait bien évidemment la « une » de L’Ouest-Eclair ce qui, encore une fois n’a rien d’étonnant (le journal a même publié une édition spéciale !). Tout d’abord, il s’agit d’une nouvelle à sensations et il est évident que celles-ci sont assez vendeuses. Le quotidien n’épargne d’ailleurs à son lecteur aucun détail de l’affaire… C’est vers 2h45 du matin que l’alerte est donnée par trois passants, dont un linotypiste de L’Ouest-Eclair. Aussitôt Victoire, la trop fameuse autopompe rennaise, entre en service, de même que l’ensemble des pompiers de la ville. Mais, attisées par un fort vent de sud-ouest, les flammes l’emportent sur les soldats du feu. A 3h40, le journaliste de L’Ouest-Eclair croit entendre « les chargeurs et les casses de balles qui sautent »…, bruit renouvelé à 5h30 lorsque « des milliers de balles de Lebel » explosent. Entretemps, les étages se sont effondrés et il ne reste plus de la glorieuse caserne qu’une façade calcinée.

Mais loin de ces arrière-pensées commerciales, il est évident que si la nouvelle de cet incendie est importante et fait la une des journaux, c’est que ce bâtiment est cher au cœur des habitants. En effet, comme le rappelle joliment L’Ouest-Eclair, « la caserne Saint-Georges, dont la haute façade, s’élevant au bout de l’avenue de la Gare dont elle complétait si heureusement la perspective, apparaissait aux des voyageurs dès leur arrivée à Rennes ». Mais, plus qu’une vue majestueuse, c’est également l’intérieur de la bâtisse qui est connue des habitants, tout du moins de ceux en âge d’effectuer leur service militaire et qui sont affectés au 41e régiment d’infanterie, unité tenant garnison au sein du chef-lieu d’Ille-et-Vilaine.

Photographie publiée dans L'Ouest-Eclair le 6 août 1921. Archives Ouest-France / WikiRennes.

Sans doute est-ce cette combinaison de facteurs qui explique que la bâtisse – une ancienne abbaye transformée à la Révolution en caserne – soit rapidement reconstruite… non sans certaines modifications riches de sens.

La première, d’ordre foncier, dit bien le défi qu’est le retour à la paix pour l’Armée française victorieuse de la Grande Guerre. En effet, l’entrée en vigueur du traité de Versailles impose à un Etat financièrement exsangue de drastiques réductions des budgets militaires. A Rennes, ces coupes sont effectuées par le général Passaga commandant la 10e région militaire, celui-là même qui, alors lieutenant-colonel, commandait le 41e régiment d’infanterie en août 1914. Au menu : dissolutions d’unités et cession aux communes des casernes et terrains militaires désormais non employés. Et c’est sans surprise que l’on trouve parmi les édifices cédés à la ville de Rennes cette bâtisse désormais inutilisable et dont la reconstruction aurait été un véritable gouffre financier pour les finances du ministère de la Guerre.

L'intérieur de la piscine Saint-Georges, construite à côté de l'ancienne caserne, après l'incendie de 1921. Carte postale, détail. Collection particulière.

Le maire, Jean Janvier, se retrouvant donc en charge de la reconstruction des bâtiments détruits par l’incendie, on remarque qu’il décide de combattre le feu par l’eau en installant dans l’édifice et ses dépendances reconstruites la caserne des pompiers et une piscine municipale ! Faut-il y voir une marque supplémentaire du traumatisme engendré par ce sinistre ? Sans doute mais pas uniquement. En effet, plus qu’un simple équipement public, la piscine, dessinée par le grand architecte Emmanuel Le Ray, traduit les aspirations du chef-lieu du département puisqu’un tel bassin figure parmi les installations obligatoires pour toute ville prétendant à un certain statut. Or, en la matière, force est d’admettre que la réalisation fut bien au-delà des aspirations puisque non seulement la piscine Saint-Georges, adjointe à l’ancienne abbaye transformée en caserne, figure encore parmi les bâtiments préférés des Rennais, mais cet édifice est aujourd’hui considéré comme un modèle du genre, véritable chef-d’œuvre de l’architecture des années 19201.

Splendide, cette piscine est d’ailleurs à l’image des rapports douloureux que Rennes entretient avec le feu. En effet, si le chef-lieu d’Ille-et-Vilaine est régulièrement la proie des flammes, il est indéniable que chaque incendie, en rendant nécessaire une reconstruction, contribue à son embellissement et à sa modernisation. Comme une sorte de Phoenix en somme.

Erwan LE GALL

1 Sur cette question on renverra à ANDRIEUX, Jean-Yves, « La piscine Saint-Georges à Rennes (1921-1926) ou les thermes du radical-socialisme », in LAURENT, Catherine (Dir.), Emmanuel Le Ray, architecte de la Ville de Rennes de 1895 à 1932, Rennes, Archives municipales de Rennes, 2000, p. 33-45.