Critiquer les programmes scolaires : une longue tradition

Astronome et météorologue, professeur de mathématiques et de physique, directeur de l’observatoire de Bourges, l’abbé Théophile Moreux collabore avec de nombreux journaux où il publie d’innombrables articles de vulgarisation scientifique. Disposant d’une chronique régulière dans L’Ouest-Eclair, il établit par exemple une relation de cause à effet entre les cycles du soleil et les grandes inondations qui frappent Nantes en 1910. Mais dans l’édition datée du 1er septembre 1936 du grand quotidien breton, ce n’est pas d’astres ou de tempêtes que traite le vénérable ecclésiastique mais de pédagogie1.

Lycéens et leur professeur dans les années 1930. Collection particulière.

Précisons d’abord que si la date de publication de cet article ne relève certainement pas du pur hasard, cet agenda ne doit pas pour autant induire en erreur. Non seulement la rentrée scolaire n’est pas encore devenue le marronnier journalistique que nous connaissons aujourd’hui, mais celle-ci est alors fixée aux alentours du 1er octobre. C’est d’ailleurs précisément parce que « tous les écoliers sont en vacances pour affronter la prochaine année scolaire » que l’abbé Moreux entend parler de pédagogie en première page de L’Ouest-Eclair. L’heure est en effet, à l’en croire, grave : « Interrogez un examinateur du baccalauréat, il vous dira qu’on assiste à un appauvrissement croissant du bagage intellectuel des candidats ». Un discours pessimiste qui ne date donc pas d’hier et qui cette fois-ci ne trouve pas son origine dans les jeux vidéo, internet et les réseaux sociaux – quelques maux régulièrement mis en avant par les tenant du « c’était mieux avant » – ni même dans le cinéma et la pratique du sport : « Nos élèves deviennent de plus en plus sportifs et semblent ainsi rejoindre leurs condisciples anglais qui ne brillent pas par leurs acquisitions intellectuelles » affirme sans rire le curé.

C’est en effet un discours d’une étonnante actualité – à défaut de modernité – que livre l’abbé Moreaux puisqu’il incrimine les « les programmes qui augmentent à chaque décade » et qui seraient la « cause de la décadence et de l’ignorance actuelles ». Selon lui, le savoir délivré serait par trop théorique et ne formerait qu’insuffisamment l’esprit des élèves. Ce serait là la marque d’un enseignement qui, « dans son esprit, n’a pas changé depuis deux siècles ». Et le résultat serait palpable puisqu’au final les bacheliers ne sauraient plus écrire, ne maîtrisant plus ni l’orthographe, ni la grammaire.

Ce qui frappe dans cet article n’est pas tant la ligne générale de cette chronique – L’Ouest-Eclair est après tout un quotidien dont la ligne éditoriale est clairement conservatrice – que la nature des arguments avancés. Non content de s’en tenir aux seuls programmes, l’abbé Moreaux remonte à la source et fustige « les différents ministres qui président à l’Instruction publique et se succèdent avec une rapidité de bolides ». La seule différence est qu’ici ils ne brillent pas par la réforme que tous souhaitent voir appliquer afin que leur nom accède à une certaine postérité mais au contraire à un certain manque d’autorité puisque selon l’ecclésiastique une vingtaine de circulaires visant à interdire « les cours dictés » seraient lettres mortes du fait de cette rotation des maroquins.

Carte postale. Collection particulière.

Surprenante constance des arguments mais qui en fait cache une autre réalité, celle de la place centrale accordée en France à l’Ecole et de manière générale à l’Enseignement. Et c’est justement ce statut si particulier accordé à l’institution scolaire, pour ne pas dire cet investissement affectif et stratégique parfois excessif, qui explique la prise de plume de l’Abbé Moreaux, un homme dont la surface médiatique et l’autorité moral permettent de croire qu’il est lu avec attention. Et peu importe que son dossier de chevalier de la Légion d’honneur nous apprenne qu’il n’enseigne plus depuis 1906, soit tout juste 30 ans avant ces grandes vacances de 19362.

Erwan LE GALL

 

 

1 MOREAUX, abbé Théophile, « Pédagogie », L’Ouest-Eclair, 39e année, n°14544, 1er septembre 1936, p. 1.

2 Arch. Nat. : LH 19800035/0033/4202.