L’élection américaine et la protection de la France : la victoire de Warren G. Harding en 1920 vue par la presse bretonne

La France et les Etats-Unis sont deux pays amis qui, de surcroît, partagent une même aspiration à l’universalité. La Première Guerre mondiale renforce ces liens et le début des années 1920 est marqué par une mise en scène du souvenir de ce conflit, surjouant la proximité transatlantique pour mieux faire oublier les désaccords politiques entre Paris et Washington. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la presse française, et singulièrement bretonne pour ce qui nous préoccupe en ces colonnes, s’intéresse aux élections américaines.

Warren G. Harding, 29e président des Etats-Unis. Crédit iconographique: The White House.

La victoire de Warren G. Harding, 29e président des Etats-Unis succédant à Woodrow Wilson, l’homme des « 14 points », est ainsi annoncée dès le 4 novembre 1920 en première page de L’Ouest-Eclair1.  A Brest, La Dépêche opte pour un dispositif plus réduit – à peine une colonne mais en première page – de même que Le Nouvelliste du Morbihan à Lorient2. Tous ces titres détaillent néanmoins précisément la victoire du sénateur républicain de l’Ohio face au gouverneur démocrate de ce même état, un certain James Cox dont le colistier n’est autre que Franklin Delano Roosevelt. Ajoutons toutefois qu’il s’agit d’une nouvelle réservée aux journaux traitant l’actualité internationale. A Saint-Brieuc, par exemple, Le Moniteur des Côtes-du-Nord ne répercute pas l’information auprès de ses lecteurs. Sans doute que le rythme de parution de ce journal – il s’agit d’un bihebdomadaire – n’est pas étranger à cet état de fait.

Dans l’histoire américaine, le court passage de Warren G. Harding à la Maison blanche – il décède en 1923 d’une pneumonie probablement contractée lors d’un voyage en Alaska – est  synonyme d’un basculement dans une certaine ère de modernité. Au-delà des scandales de corruption qui entachent sa présidence, il est d’ailleurs connu pour être le premier président à prononcer un discours radiodiffusé. Or, à lire L’Ouest-Eclair, il ne fait pas de doute qu’Harding est un bon sujet journalistique. Le quotidien rennais dresse en effet le portrait du vainqueur de l’élection en usant du mythe du self-made man et en n’hésitant pas à recourir à ce qui prendra le nom, au début du XXIe siècle, de storytelling.

Autre signe de modernité, Warren G. Harding est le premier président américain à être élu avec les voix… des femmes, puisqu’elles sont pour la première fois autorisées à voter. Elles sont d’ailleurs, à en croire L’Ouest-Eclair, une des clefs du scrutin, analyse qui n’est d’ailleurs pas sans dévoiler des stéréotypes de genre profondément ancrés dans les mœurs. Pour le quotidien rennais, si les femmes ont majoritairement voté pour Harding, c’est parce qu’il est le candidat de la prohibition, une mesure que ce journal définitivement « humide » n’a jamais comprise et qui motive un jugement des plus lapidaires : « l’esprit arithmétique des femmes les pousse aux solutions les plus extrêmes ». Un jugement qui sera d’ailleurs repris pour partie dans ce même journal, mais cette fois-ci pour plaider en faveur du vote féminin.

Cortège funèbre de Warren G. Harding. Library of Congress.

Mais là n’est sans doute pas le plus important aux yeux de L’Ouest-Eclair. C’est en effet au prisme des relations franco-américaines qu’est analysée la victoire de Warren G. Harding, celui-ci étant à la fois un adversaire résolu de la Société des nations voulue par son prédécesseur et le champion de l’isolationnisme. Ce faisant, le quotidien rennais dit bien l’illusion de puissance née de la victoire de 1918 en s’interrogeant fébrilement : « L’Europe, du moins, et particulièrement la France, pourra-t-elle compter, en cas d’urgence, sur un secours militaire effectif de la part des Etats-Unis entrés ou non dans la Ligue nouvelle ? » Une interrogation qui en dit long sur la confiance française et qui n’est pas exceptionnelle. Il à cet égard particulièrement instructif de constater qu’à Brest La Dépêche choisit de commenter d’abord les réactions de la presse allemande – qui à l’en croire se déchaine en de nombreuses attaques virulentes sur Woodrow Wilson – puis ensuite de passer à la répercussion de cette élection sur les « rapports franco-américains ».

Erwan LE GALL

 

 

 

1 « L’Election présidentielle aux Etats-Unis », L’Ouest-Eclair, 22e année, n°7273, 4 novembre 1920, p. 1.

2 « M. Harding succédera au président Wilson », La Dépêche de Brest, 34e année, n°13475, 4 novembre 1920, p. 1 et « M. Harding va remplacer M. Wilson comme Président de la République », Le Nouvelliste du Morbihan, 34e année, n°202, 4 novembre 1920, p. 1.