Un souvenir franco-américain de la Grande Guerre

S’il est bien une date qui est extrêmement chère au cœur des américains, c’est le 4 juillet, jour anniversaire de l’indépendance des Etats-Unis en 1776 devenu depuis fête nationale. Or on sait que de longue date, même si les relations sont parfois houleuses, Paris et Washington sont des amis indéfectibles soudés par une histoire commune et une semblable, bien que concurrente, aspiration à l’universalité. On l'oublie souvent mais la Bretagne est aux premières loges de cette relation transatlantique comme en témoigne, pour ne citer qu’un exemple, l’arrivée des soldats américains dans les ports de Saint-Nazaire et Brest à partir de 1917.

« Leurs fils sont morts pour une cause sacrée». Une du n°4200 de L'Illustration daté du 1er septembre 1923. Collection privée.

La Première Guerre mondiale est justement l’une de ces périodes tragiques qui scelle si profondément l’amitié franco-américaine. C’est d’ailleurs ce que nous rappelle le n°4200 de L’Illustration paru le 1er septembre 1923, consacré cette semaine à la visite officielle qu’effectue aux Etats-Unis le général Gouraud, ancien chef du corps expéditionnaire français aux Dardannelles.

Bien entendu, de tels voyages ne sont pas sans revêtir une grande importance diplomatique, ce que n’ignore d’ailleurs pas le prestigieux magazine. Cette visite est ainsi qualifiée de « plus utile voyage de propagande française aux Etats-Unis ». Mais, cinq ans seulement après l’Armistice du 11 novembre 1918, il est évident qu’un tel voyage ne peut pas ne pas évoquer la guerre, encore si présente dans les esprits. Contrairement à ce que l'on avance trop souvent, la dipomatie du souvenir n'est nullement une invention du XXIe siècle.

Il y a en effet tout juste 90 ans, la difficile question des réparations et le non moins épineux problème de l’occupation de la Rhur sont sur toutes les lèvres. Or, selon les termes mêmes de L’Illustration, il apparait bien que l’un des buts de cette tournée diplomatique est pour Paris de rallier Washington à sa cause et d’amener les Etats-Unis à « déclarer que les dévastations devaient être réparées par ceux qui les ont causées, et non par ceux qui les avaient subies ».

Les généraux Gouraud et Pershing à Indianapolis lors de la viste de l'ancien chef du corps expéditionnaire français aux Dardannelles aux Etats-Unis en 1923. Cliché publié dans le n°4200 de L'Illustration. Collection privée.

Pour ce faire, la délégation française ne recule devant aucun symbole. Et pour cela, quoi de plus efficace que d’honorer la mémoire des combattants américains en soulignant la douleur des parents qui ont perdu un fils au cours du conflit ? Tel est exactement le sens du geste du général Gouraud lorsqu’il décore de la Médaille militaire les pères de deux aviateurs tombés au combat, le sergent Andrew Courtney Campbell et le caporal Dumarest Spencer. Or ces deux pilotes n’appartiennent pas à n’importe quelle formation puisqu’ils combattent tous deux au sein de l’escadrille Lafayette, unité de volontaires américains constituée en 1916 et placée sous commandement français. On comprend dès lors mieux pourquoi L’Illustration choisit comme photographie de couverture ce cliché figurant le général Gouraud en train de décorer de la Médaille militaire deux pères américains dont les fils sont morts au combat en France.

Erwan LE GALL