L’Ouest-Eclair et le « dimanche sanglant » de 1920

Dans la mémoire collective, le « Bloody Sunday » évoque inévitablement les évènements terribles qui secouent l’Irlande du Nord le dimanche 30 janvier 1972. Peu de gens savent, en revanche, que cette expression désigne également d’autres épisodes meurtriers qui jalonnent la longue histoire de l’île. Ainsi, le dimanche 21 novembre 1920, alors que la Guerre d’indépendance fait rage depuis presque deux ans, les forces britanniques ripostent à l’assassinat de 14 de leurs concitoyens. Elles ouvrent le feu sur le public lors d’un match de football gaélique à Dublin, tuant 14 nouvelles personnes.

Michael Collins lors d’un match au Croke Park en 1919. Wikicommons.

L’évènement ne passe pas inaperçu dans la presse bretonne. Depuis plusieurs années, l’évolution des évènements irlandais passionne les lecteurs tant ils sont riches en rebondissements1. Le 21 novembre 1920, se basant sur une déclaration de la Chambre des Communes, L’Ouest-Eclair révèle ainsi que les « sinn-feiners auraient conçu le projet de contaminer le lait destiné aux troupes avec des bacilles de la fièvre typhoïde », et qu’ils auraient, en outre, projeté « d’inoculer la morve aux chevaux de l’armée d’occupation »2. Le quotidien est alors loin de se douter de ce qui est réellement en train de se passer de l‘autre côté de la Manche. Au moment où sont publiées ces lignes, Michael Collins, l’un des meneurs de mouvement indépendantiste irlandais, vient d’ordonner l’assassinat d’agents et d’espions britanniques.

Le lendemain, L’Ouest-Eclair est pris de court. Le quotidien se contente de reproduire un communiqué qui évoque succinctement la mise à mort « d’une douzaine d’hommes » à Dublin3. Le périodique précise toutefois qu’une riposte est envisagée puisque « de forts contingents armés et soutenus par des mitrailleuses ont quitté Skibbereen ce matin pour se rendre dans un district où les troupes républicaines opèrent activement ». Il faut attendre l’édition du 23 novembre 1920 pour connaître le déroulement intégral de la journée. Après avoir livré des détails sur la façon dont auraient été organisées « les tueries » perpétrées par les « bandes sinn-feiners » armées, le quotidien rennais revient sur la répression menée quelques heures plus tard par les troupes britanniques4. Le journal catholique précise qu’un détachement de soldats s’est présenté dans l’après-midi durant un match de football gaélique auquel assistent près de 15 000 personnes, dont certains « meurtriers des officiers ». Mais si le quotidien se montre plus loquace, il se contente une nouvelle fois de reproduire dans les grandes lignes un communiqué britannique qui affirme que les soldats ont seulement riposté aux tirs des Irlandais.

Il faut patienter jusqu’au 25 novembre pour avoir une réelle prise de position de L’Ouest-Eclair. Un long article publié en première page rappelle en effet que l’Irlande est sortie de la misère grâce à l’Angleterre… Mais, plutôt que de prendre position pour l’un ou l’autre camp, le journaliste affirme que « la vérité est au milieu »5. La neutralité de L’Ouest-Eclair, qui ne cache pas son attachement catholique, peut surprendre. Alors que l’on aurait pu s’attendre à une prise de position naturelle en faveur des Irlandais, le journal préfère éviter de glorifier les actions menées par le Sinn Féin.

Frères et amis des victimes de la tuerie du 21 novembre 1920 devant l'hôpital de Jervis Street à Dublin. Wikicommons.

L’Ouest-Eclair demeure en réalité sur une ligne éditoriale parfaitement identique à celle adoptée quatre ans plus tôt lorsque le quotidien rapporte le déroulement de l’insurrection irlandaise de Pâques 1916. Si cette écriture ne semble plus s’inscrire dans le cadre des alliances étatiques en tant de guerre, on peut se demander si, désormais, ce ne serait pas une manière de se distinguer des nationalistes bretons qui, depuis de nombreux mois, instrumentalisent la répression britannique pour servir leur propre cause6. La question mérite d’être posée même s’il faut impérativement garder à l’esprit qu’à cette époque le traitement de l’actualité internationale, lorsqu’elle n’implique pas directement pas la France, est encore souvent distancié.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

1 Sur ce point STOVER, Justin Dolan, « Brittany and the 1916 Easter Rising », En Envor, revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°7, hiver 2016, en ligne.

2 « Les affaires d’Irlande », L’Ouest-Eclair, 21 novembre 1920, p. 1.

3 « Les assassinats continue en Irlande », L’Ouest-Eclair, 22 novembre 1920, p. 1.

4 « La tuerie de Dublin », L’Ouest-Eclair, 23 novembre 1920, p. 1.

5 « Comment vit le peuple irlandais pendant la guerre civile ? », L’Ouest-Eclair, 25 novembre 1920, p. 1.

6 STOVER, Justin Dolan, « Brittany and the 1916 Easter Rising », art. cit.