Les anciens combattants entre action et lien social

Il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’essayer de comprendre la société française des années 1920-1930 sans s’intéresser aux anciens combattants. En Ille-et-Vilaine, par exemple, tous les candidats qui se présentent aux élections législatives de 1936 se positionnent par rapport à cette population qui, rappelons-le, constitue une large majorité du corps électoral1. Bien entendu, sur un tel sujet, la thèse d’Antoine Prost reste un classique absolument incontournable2. Mais les archives des sections locales de ces associations de vétérans étant rares, leur poids dans la société rurale des années 1920-1930 reste encore imparfaitement connu. C’est là qu’on mesure l’intérêt des quelques papiers conservés aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine relatifs à la section d’Iffendic de l’Union nationale des combattants (UNC)3.

Défilé d'anciens combattants. Sans lieu ni date. Collection particulière.

Dans cette petite commune de l’ouest du département, non loin de la célèbre forêt de Brocéliande, l’Union nationale des combattants s’implante en décembre 1919, c’est-à-dire une fois que tous les poilus survivants sont définitivement rentrés dans leurs foyers. La section est présidée par Léon Tréber, un blessé de guerre, et bénéficie manifestement du soutien actif d’Eugène Delahaye, ancien porte-drapeau du 41e RI, rédacteur en chef du Nouvelliste de Bretagne et militant actif de l’UNC à Rennes.

La présence de cette personnalité ne doit pas induire en erreur. Si l’Union nationale des combattants est certainement la plus conservatrice des grandes associations, notamment par rapport à l’Union fédérale et l’Association républicaine des anciens combattants,  et si la ligne éditoriale du Nouvelliste de Bretagne se situe résolument à droite, rien n’indique que la section locale d’Iffendic partage ce positionnement politique. Au contraire même. L’association dispose en effet en Ille-et-Vilaine d’une situation hégémonique et le manque de concurrence n’incite nullement les militants à une quelconque surenchère idéologique. Ce d’autant plus que ce département n’aime rien de plus sur le plan des idées que la modération4. D’ailleurs, ces enjeux politiques se révèlent être de bien moindre intensité au sein des petites sections villageoises.

Dans les campagnes, ce n’est en effet pas cela qui compte. C’est précisément du reste ce que rappelle la loterie organisée le 1er février 1925 à Iffendic par la section locale de l’UNC. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler que c’est dans « la salle de l’Ecole publique des filles » qu’est organisée cette manifestation5. Quand on sait le poids de la guerre scolaire en Bretagne dans la première partie du XXe siècle, on mesure tout ce que peut avoir d’œcuménique une telle décision. Mais celle-ci se comprend néanmoins aisément puisque le but premier de cette tombola n’est pas d’ordre idéologique mais d’alimenter « la caisse de secours » de la section. Ce faisant, cette loterie rappelle que c’est bien l’action sociale qui est au cœur des préoccupations de ces groupements de vétérans.

Carte d'adhérent de l'Union nationale des combattants. Collection particulière.

Pour autant, il est impossible d’éluder le caractère intrinsèquement festif d’une tombola. L’UNC d’Iffendic ne s’en cache par ailleurs nullement et précise même que « les lots consisteront en porcelet, jeune chien, volaille, lapins et articles divers gracieusement offerts par les commerçants et les amis de la section »6. L’association d’anciens combattants se révèle alors dans toute sa complexité. Loin de n’être qu’un groupement patriotique à caractère plus ou moins philanthropique, elle constitue également une véritable pierre angulaire de la sociabilité villageoise des campagnes bretonnes et françaises des années 1920-1930.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

 


1 Sur la question on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, « Unis comme au front (populaire) ? Les anciens combattants d’Ille-et-Vilaine et le scrutin du printemps 1936 », in LE GALL, Erwan et PRIGENT, François, C’était 1936, Le Front populaire vu de Bretagne, Rennes, Editions Goater, 2016, p. 256-285.

2 PROST, Antoine, Les anciens combattants et la société française, 1914-1939, Paris, Presses de la FNSP, 1977.

3 Arch. dép. I&V : 2 Z 49.

4 SAINCLIVIER, Jacqueline, L’Ille-et-Vilaine 1918-1958. Vie politique et sociale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1996.

5 Arch. dép. I&V : 2 Z 49, l’UNC d’Iffendic au sous-préfet de Montfort-sur-Meu, 13 décembre 1924.

6 Ibid.