Lorsque la Bretagne découvre le monstre : l’arrestation de Landru vue dans la presse bretonne

Le 12 avril 1919, alors que des milliers de familles attendent le retour des démobilisés, la police parisienne procède, sans le savoir, à l’arrestation de l’un des plus emblématiques tueurs en série français. Sur le moment, les enquêteurs pensent avoir interpellé un dénommé Lucien Guillet qui aurait été en lien avec deux jeunes femmes récemment disparues. Après un rapide examen, les enquêteurs découvrent que l’individu est bien connu des services de police puisqu’il s’agit Henri-Désiré Landru, un escroc multirécidiviste qui a purgé de nombreuses peines de prison avant la guerre. Pourtant, cette fois, les faits qu’on lui reproche sont bien plus graves puisque, chez lui, les policiers découvrent des documents accablants, prouvant qu’il est à l’origine de la disparition d’au moins une dizaine de femmes.

Carte postale. Collection particulière.

La nouvelle ne tarde pas à se rependre dans la presse bretonne1. Le 17 avril, L’Ouest-Eclair révèle à ses lecteurs les détails du terrible fait divers2. Le quotidien précise que si quatre femmes sont portées officiellement disparues, les enquêteurs ont, de leurs côtés, mis la main sur « onze chemises de carton gris contenant un nom, une courte note explicative avec des dates, une photographie et une mèche de cheveux ». Le scénario macabre ne laisse aucun doute et le journal rennais se demande si, tout simplement, Henri-Désiré Landu n’aurait pas tué ces onze femmes3.

En Bretagne, comme partout en France, le présumé meurtrier est immédiatement identifié comme étant l’incarnation de « Barbe Bleue »4. Il faut reconnaître que la comparaison avec le conte popularisé au XVIIe siècle par Charles Perrault est presque instinctive puisqu'elle met en scène un homme barbu qui fait disparaître des femmes… Dès lors, de la même manière que le personnage du conte tuait frénétiquement ses épouses, tout porte à croire que le « Barbe-Bleue de Gambais » en faisait de même, et l'opinion s'attend à ce que les enquêteurs découvrent d’autres victimes. Les rumeurs se rependent même rapidement. Le 21 avril, L’Ouest-Eclair se demande si Henri-Désiré Landru n’aurait pas « tué des enfants », évoquant plus particulièrement ce « garçonnet qui l’an dernier vint à Gambais avec Landru et que l’on ne revit pas »5. Ce même jour, le journal affirme également que le « Barbe-Bleue moderne » avait régulièrement recours à « l’hypnotisme » afin de « dévaliser les femmes qu’il rencontrait ».

Carte postale. Collection particulière.

Entre passions et fantasmes, l’affaire Landru ne manque pas d’inquiéter les Bretons. Un entrefilet évasif de L’Ouest-Eclair fait craindre, le 22 avril, que le monstre puisse être relâché dans la nature. Le quotidien précise en effet que, « d’après les bruits qui circulent dans les milieux directeurs des investigations, on pourrait sous peu assister à ce qu’il est convenu d’appeler un coup de théâtre, mais c’est tout ce qu’on peut dire »6. D’ailleurs, de son côté, Henri-Désiré Landru ne cesse de clamer son innocence, affirmant aux enquêteurs que « celles que l’on nomme ses victimes doivent être à l’étranger »7. Mais personne n’est dupe. La presse bretonne est d'ailleurs convaincue de sa culpabilité, occultant, à ce stade précoce de l'enquête, toute « présomption d’innocence ». La médiatisation offerte lors l’arrestation du « barbe-Bleue de Gambais » donne alors un avant-goût de l’agitation qui entourera, deux ans plus tard, la tenue de son procès.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

1 A l’exception toutefois des journaux soumis aux restrictions de papier qui, à l’image du Nouvelliste du Morbihan (qui ne peut imprimer son édition que sur une feuille recto-verso), font l’impasse sur l’information.

2 « Un moderne Barbe-Bleue », L’Ouest-Eclair, 17 avril 1919, p. 2.

3 « A-t-il tué onze femmes », L’Ouest-Eclair, 17 avril 1919, p. 2.

4 « Landru le nouveau Barbe-Bleue », La Dépêche de Brest (édition du Soir), 17 avril 1919, p. 4.

5 « A-t-il tué des enfants ? », L’Ouest-Eclair, 21 avril 1919, p. 2.

6 « Le moderne Barbe-Bleue s’impatiente », L’Ouest-Eclair, 22 avril 1922, p. 3.

7 « Le moderne Barbe-Bleue est arrivé à Paris », L’Ouest-Eclair, 28 avril 1919, p. 2.