Les démobilisés de Dieu du printemps 1919

Le 11 novembre 1918 est bien entendu un véritable soulagement pour les Bretons même si, depuis plusieurs semaines, la signature de l’Armistice ne faisait plus aucun doute. En l’espace de quelques secondes, l’angoisse de voir disparaître un proche sous les tirs ennemis se dissipe. En revanche, les familles comprennent rapidement qu’elles devront encore patienter avant de pouvoir serrer les soldats dans leurs bras. Et pour cause, dans l’attente du traité de Paix, les combattants sont maintenus sous l’uniforme. Seuls les plus âgés sont démobilisés à partir de la fin de l’année 19181.

L'église de Sarzeau. Carte postale. Collection particulière.

De retour dans leurs foyers, les hommes ont parfaitement conscience de la chance qu’ils ont d’être revenus des tranchées. Certains attribuent volontiers leur survie à la volonté de Dieu. Pour l’Eglise, la démobilisation constitue une opportunité supplémentaire de réaffirmer sa responsabilité dans la victoire que viennent d’obtenir les Français. L’évêque de Vannes, Alcime Gouraud, n’a cessé de le clamer pendant la guerre : seule la foi viendra à bout de l’abnégation des Allemands2. C’est là du reste une grille de lecture catholique assez classique de la guerre, représentation que l’on trouve dans de nombreux témoignages. Dès le 15 août 1914, Alcime Gouraud, dans un propos qui n’est pas sans faire penser au « pays réel » cher à Charles Maurras, affirme par exemple dans La semaine religieuse du diocèse de Vannes que

« La France officielle, il faut bien le constater, par son athéisme public et persécuteur, n'a guère mérité que le Dieu des armées nous vienne en aide. Heureusement qu'à côté la France populaire, la vraie celle-là, a mieux compris son devoir. Par les souffrances chrétiennement supportées, elle saura mériter de Dieu que la victoire vienne encore, et dans un avenir très proche, faire enfler les plis de notre drapeau. »3

Du point de vue des ecclésiastiques, les poilus sont en quelque sorte perçus comme des « soldats de Dieu ». Lorsqu’ils rentrent en Bretagne, ils deviennent donc de facto des démobilisés de Dieu. Dans la continuité de l’évêque de Vannes, le curé de Sarzeau rappelle ainsi à ses fidèles que le retour des soldats est un « bienfait qui donne droit à Dieu à notre reconnaissance (sic) ». C’est en effet, selon lui, Dieu qui « a donné la victoire » aux Français. Pour aider les poilus à « payer [leur] dette », le curé convoque l’ensemble des fidèles de sa paroisse à l’occasion d’une « messe solennelle d’actions de grâces pour le retour des démobilisés » qu’il donne le 25 mars 19194.

L’appel du curé est entendu par la population qui vient nombreuse à la cérémonie. La matinée, qui se veut « patriotique », permet en effet de rassembler une grande partie des fidèles ainsi que « les notabilités de la commune », les membres du conseil municipal, et les enfants des écoles5. Les démobilisés occupent bien entendu les premiers rangs dans l’église. A la sortie de l’office, le cortège se dirige vers le cimetière afin de rendre hommage à ceux qui ne sont pas revenus. En l’absence de tombes, les autorités civiles et religieuses dressent pour l’occasion un « monument » en leur honneur6. Si l’édifice n’a pas encore la stature du monument qui sera inauguré en 1922, il n’en demeure pas moins émouvant. Le tableau commandé quelques semaines plus tôt par le conseil municipal à l’illustrateur Boris est disposé sur une estrade, elle-même entourée de fleurs7. L’ensemble est – bien entendu – surmonté d’une croix8.

L'église de Sarzeau. Carte postale. Collection particulière.

La matinée s’achève avec le discours d’Elie de Langlais, conseiller général et maire de Sarzeau. Lui-même démobilisé depuis un mois, l’édile entame un long discours durant lequel il rend hommage à ses compagnons d’armes. Derrière cette cérémonie qui semble relever de l’Union sacrée, impossible pourtant de ne pas voir la volonté du diocèse de devancer les initiatives des autorités laïques. Moins de quinze ans après la crise des Inventaires, la guerre n’a pas réconcilié l’Eglise avec l’Etat, bien au contraire.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

1 Pour de plus amples développements CABANES, Bruno, La Victoire endeuillée. La sortie de guerre des soldats français 1918-1920, Paris, Seuil, 2004.

2 Sur ce point, voir par exemple GUYVARC’H, Didier, « Les Morbihannais et Dieu de 1914 à 1918 », in EVANNO, Yves-Marie et LAGADEC, Yann, Les Morbihannais à l’épreuve de la Grande Guerre, Vannes, Département du Morbihan, p. 141-158.

3 « La guerre et le renouveau chrétien », La semaine religieuse du diocèse de Vannes, 16 août 1914, p. 667.

4 Le Messager de Saint-Saturnin. Paroisse de Sarzeau, mars 1919, p. 2-3.

5 « Sarzeau – cérémonie patriotique », La semaine religieuse du diocèse de Vannes, 26 avril 1919, p. 264.

6 « Messe d’action de grâces », L’Union morbihannaise, 6 avril 1919, p. 3.

7 Archives municipales de Sarzeau, registre des délibérations du conseil municipal, session du 23 février 1919.

8 Le Messager de Saint-Saturnin. Paroisse de Sarzeau, mai 1919, p. 3-4.