La révolte, une arme pour s’opposer aux inventaires des biens de l’Eglise ?

A partir du mois de février 1906, les autorités procèdent à l’inventaire des biens ecclésiastiques, conformément à la loi de séparation des Églises et de l’État promulguée le 9 décembre 1905. Les milieux cléricaux sont scandalisés et nombreux sont ceux qui perçoivent cette loi comme relevant d’une « œuvre de destruction que la haine envers les catholiques a préparée et réalisée »1. D’autres vont plus loin et assurent que c’est une nouvelle Terreur qui s’annonce en France. Le bihebdomadaire catholique L’Arvor déclare à ce propos :

« Comme aujourd’hui, l’abolition du culte, la profanation des hosties, la chasse aux prêtres, le vol des biens ecclésiastiques avaient commencé par l’inventaire des églises. Et ceux qui protestaient, comme aujourd’hui encore, étaient passés à tabac par les gendarmes et condamnés par des juges fanatiques. »2

Carte postale. Collection particulière.

Fort de ce constat, la rédaction de L’Arvor décide de reproduire, en première page de son édition du 16 mars, l’article 35 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen parue en 1793 : « Quand le gouvernement viole le droit du peuple, l’insurrection est, pour le peuple, le PLUS SACRE et le plus INDISPENSABLE DES DEVOIRS ». Une telle incitation aurait de quoi surprendre quand on songe aux vives réactions que suscitent, deux ans plus tôt, dans la presse conservatrice, les émeutes ouvrières à Lorient.

Les autorités religieuses assument parfaitement ce discours et appellent ouvertement les fidèles à se rebeller contre les lois impies de la République. Leurs recommandations sont entendues partout en Bretagne, aussi bien dans les grandes villes que dans les plus petites communes rurales. On recense ainsi plus d’un millier de manifestants à Theix (6 mars), à Nivillac (7 mars), à Pénestin (10 mars), ou encore à Férel (10 mars)3. Devant la basilique de Sainte-Anne-d’Auray, ce près de 10 000 personnes armées de fourches, de bâtons et de fusils qui se réunissent le 14 mars ! Tous sont prêts à en découdre comme à Quelneuc où le percepteur est visé par « plusieurs coups de fusils » qui percent la capote de son véhicule en douze endroits4.

Le mécontentement des catholiques prend également la forme d’actions plus symboliques. Ainsi, à Noyal-Muzillac, le receveur des douanes découvre une scène qui le laisse de marbre :

« Un mannequin, représentant un franc-maçon, affublé de toute la ferblanterie maçonnique, était pendu au clocher, et sur ce sinistre personnage on avait écrit Vengeance du peuple contre les fichards, les mouchards et les cambrioleurs. »5

Devant la détermination des paroissiens, la troupe est appelée en renfort. Mais là encore, certains soldats, qui sont également des fidèles, préfèrent braver les ordres du préfet plutôt que ceux de l’évêque. A Saint-Servan, en Ille-et-Vilaine, trois officiers refusent ainsi d’ouvrir les portes de l’église le 23 février. Leur geste donne lieu à un retentissant procès quelques jours plus tard, le 16 mars6.

Carte postale. Collection particulière.

Les catholiques sont-ils pour autant devenus des partisans de l’action directe ? Assurément non pour la presse républicaine. Le Progrès du Morbihan préfère y voir l’œuvre de « troupes de névrosés et d’alcooliques » qui seraient « inféodés » au pape Pie X7. Du côté des autorités religieuses, il n’est pas question non plus d’assimiler les fidèles aux anarchistes. La querelle des inventaires doit plutôt marquer le début d’une nouvelle chouannerie avec le doux espoir de mettre fin au régime républicain.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

1 « La loi de séparation », La Semaine religieuse du diocèse de Rennes, 16 décembre 1905, p. 195-196.

2 « La loi c’est la force. Ce qui nous attend », L’Arvor, 16 février 1906, p. 1.

3 Archives départementales du Morbihan, V 607, V 609, V 462 et V 463.

4 « Tentative d’assassinat », Le Républicain de Pontivy, 18 mars 1906, p. 3.

5 « A Noyal-Muzillac », Le Morbihannais, 23 mars 1906, p. 1.

6 Sur ce point, voir LE GALL, Erwan, « Le deuxième procès de Rennes : trois officiers du 47e régiment d’infanterie devant le Conseil de guerre », En Envor, revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°1, hiver 2013, en ligne.

7 « Est-ce pour aujourd’hui ??? », Le Progrès du Morbihan, 17 février 1906.