Mort d’un Prix Nobel : Aristide Briand

La une de l’édition du 8 mars 1932 de L’Ouest-Eclair est de celles qui annoncent une nouvelle grave et importante. Un seul titre barre les six colonnes du quotidien breton : « M. Aristide Briand est mort ». Sobre, la phrase surmonte un portrait de « l’illustre homme d’Etat » ainsi qu’un rappel en quelques dates, et autant de postes, de sa carrière ministérielle.

Aristide Briand au soir de sa vie. Collection particulière.

Sous couvert d’une apparente neutralité, la ligne éditoriale de L’Ouest-Eclair est très partisane et prend sa source dans l’actualité du moment. Certes, le quotidien rennais n’élude rien des « derniers moments » du grand homme, narrant les tentatives du médecin pour le réanimer, l’arrivée de la foule accourant à son domicile à mesure que se propage la rumeur de son décès, puis la venue du Président de la République, Paul Doumer… Le journal reproduit même un dessin représentant le défunt sur son lit de mort !

Mais l’éditorial de Louis-Alfred Pagès, plume résolument ancrée à droite et collaborateur régulier de L’Ouest-Eclair, livre pour sa part une analyse très politique. Décence oblige, il participe aux concours de louanges qui, immanquablement, fleurissent en de telles circonstances et évoque « les qualités exceptionnelles » de conciliateur d’Aristide Briand… pour mieux rappeler qu’il venait « de gauche et même de l’extrême-gauche, comme Millerand, comme Laval, comme Boncour » ; affirmant même qu’il « avait combattu dans des formations partisanes », ce qui semble être le propre du champ politique, et « pour des idées dont certaines étaient funestes ». Alors pourquoi une telle hagiographie ? Parce qu’Aristide Briand s’était prononcé en faveur de la représentation proportionnelle, véritable mère de toutes les batailles menées par Louis-Alfred Pagès. Ici la mémoire se fait non seulement outil politique du temps présent mais courte, puisqu’il faut atteindre la deuxième page pour apprendre qu’Aristide Briand fut rapporteur du projet de loi, vigoureusement combattu par L’Ouest-Eclair, de séparation des Eglises et de l’Etat.

A Brest, la Dépêche adopte une ligne éditoriale sensiblement différente et insiste sur « l’apôtre de la paix » qu’était Aristide Briand. Mordant, le journal explique d’ailleurs que « amis et adversaires [sont] unis dans un suprême hommage au grand citoyen ». Loin des considérations de politique intérieure développées par Louis-Alfred Pagès, c’est sur l’homme des accords de Locarno – signés en 1925 pour assurer la sécurité collective en Europe et fixer les frontières de l’Allemagne –, au pilier de la Société des nations, au signataire enfin du traité déclarant hors-la-loi la guerre que s’attache le quotidien Finistérien. De la même manière, c’est au « Missionnaire de la Paix » que L’Echo de l’Ouest rend hommage tandis que, toujours dans le Morbihan, c’est le portrait de « l’un des artisans les plus convaincus de la paix mondiale » que dresse le Nouvelliste.

Carte postale. Collection particulière.

Néanmoins, au-delà de ces divergences éditoriales, deux éléments surprennent. Les origines bretonnes d’Aristide Briand ne sont rappelées qu’en second plan, comme s’il était d’abord une icône nationale, voire internationale, avant d’être un symbole régional. Il faut ainsi attendre la deuxième page de L’Ouest-Eclair pour pouvoir lire que « M. Aristide Briand était un breton ». Mais, plus encore, le Prix Nobel de la Paix qu’il reçoit en 1926 ne semble pas attirer l’attention des journalistes de l’époque, ce qui en dit long sur la notoriété accordée alors à cette distinction.

Erwan LE GALL