un nantais prix Nobel de la Paix

Le mois d’octobre est traditionnellement celui des prix Nobel. Depuis 1901, ceux-ci récompensent les hommes et les femmes qui ont apportés « le plus grand bénéfice à l'humanité » lors de l’année écoulée. Ce souhait correspond à la volonté de l’inventeur de la dynamite, Alfred Nobel, qui met à disposition, à sa mort en 1896, sa fortune pour pérenniser cette œuvre. Cinq domaines sont alors primés : la paix, la médecine, la chimie, la physique et la littérature1. En 1926, un Nantais décroche la consécration suprême en obtenant le prix Nobel de la Paix : Aristide Briand.

Une brillante carrière politique

Aristide Briand. Library of Congress, LC-USZ62-64240.

Aristide Briand est né à Nantes le 28 mars 18622. Fils de commerçants, il passe son enfance à Saint-Nazaire avant de retourner à Nantes pour y poursuivre ses études. Devenu avocat, il obtient ses premières responsabilités politiques au Conseil municipal de Saint-Nazaire. Après plusieurs échecs électoraux, il devient enfin député de la Loire, à Saint-Etienne. Sa carrière politique s’accélère ensuite. Rapporteur de la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905, il s’affirme désormais sur le devant de la scène politique. Il entre ainsi pour la première fois au Gouvernement en 1906 en étant nommé ministre de l’Instruction publique à l’âge de 44 ans. Il accède ensuite à onze reprise à la présidence du Conseil. C’est justement cette fonction qu’il occupe pendant plusieurs mois durant la Première Guerre mondiale (29 octobre 1915 – 14 mars 1917). Au sortir de la guerre, il retrouve la Bretagne en étant élu député de Loire-Inférieure.

De la Grande Guerre au Nobel

            Les rancœurs nées de Versailles pèsent sur l’Europe du début des années 1920. La réticence de l’Allemagne à payer le tribut exigé par la France conduit cette dernière à envahir la Ruhr en 1923. Mais le recours à la force montre ses limites : les anciens alliés de Paris ne soutiennent pas la France dans sa démarche. Les Américains désamorcent finalement la question du règlement des dettes en 1924 par la mise en place du plan Dawes3. La diplomatie semble bien être l’arme la plus à même d’obtenir des résultats probants pour la paix. Redevenu ministre des Affaires étrangères en 1925, Aristide Briand décide de mener une politique de conciliation avec son homologue allemand Gustav Stresemann.

Le 9 février 1925, ce dernier adresse un mémorandum au Royaume-Uni, à la France et à l’Italie dans lequel il s’engage à reconnaître les frontières occidentales de l’Allemagne (Alsace-Lorraine). Ce premier pas débouche quelques mois plus tard sur une réunion organisée en Suisse, à Locarno, du 5 au 16 octobre 1925. Gustav Stresemann, Aristide Briand, Austen Chamberlain (Royaume-Uni), Benito Mussolini (Italie) ainsi que Vandervelde (Belgique), Skrzynski (Pologne) et Beneš (Tchécoslovaquie) concluent près de deux semaines de négociations par la signature d’accords dits de Locarno4. Dans les grandes lignes, les frontières germano-belge et germano-française sont entérinées et l’Allemagne s’engage à ne pas remilitariser la région du Rhin. De leur côté, Berlin et Rome promettent de jouer un rôle d’arbitre devant les conduire, le cas échéant, à intervenir en cas de non-respect du pacte. Les bonnes dispositions de l’Allemagne amorcent également son intégration dans la Société des Nations, un processus qui se conclue positivement le 10 septembre 19265. Pour leur action en faveur de la Paix G. Stresemann, A. Briand et A. Chamberlain reçoivent le 10 décembre 1926, le symbolique prix Nobel de la Paix6.

A Locarno, Stresemann, Chamberlain et Briand. Wikicommons / Bundesarchives.

Étendre Locarno à L’Europe

Aristide Briand se maintient au Quai d’Orsay sans discontinuité jusqu’en 1932. Cette longévité offre une stabilité à la diplomatie française. Le ministre poursuit alors son action contre la guerre qu’il déclare « illégale » avec le secrétaire d’Etat américain Frank Kellog. La signature du pacte Briand-Kellog en 1928, souhaite alors engager les puissances mondiales sur la voie du désarmement.

Son autre grand projet est d’unifier les Etats européens dans une grande union fédérale. C’est le vœu qu’il émet le 5 septembre 1929 en ouverture du Congrès de la Société des Nations :

« Je pense qu’entre les peuples qui sont géographiquement groupés comme les peuples d’Europe, il doit exister une sorte de lien fédéral ; ces peuples doivent avoir à tout instant la possibilité d’entrer en contact, de discuter de leurs intérêts, de prendre des résolutions communes, d’établir entre eux un lien de solidarité, qui leur permette de faire face, le moment venu, à des circonstances graves, si elles venaient à naître. C’est ce lien que je voudrais m’efforcer d’établir. »7

En quelque sorte, A. Briand souhaite étendre l’esprit de Locarno à toute l’Europe. Si le discours est salué, il ne reçoit en revanche qu’un soutien modéré de son homologue allemand G. Stresemann. Le projet est porteur d’espoir mais il doit faire face à une avalanche de vents contraires. Le 3 octobre, Stresemann décède brutalement. Moins d’un mois plus tard, Wall Street est touché par un krach boursier dont les conséquences ne tardent pas à  se faire sentir en Europe. Le repli progressif des Etats européens et la résurgence apparente des nationalismes ne laissent que peu d’espoirs au projet d’Aristide Briand. Le 1er mai 1930, la France propose tout de même un « mémorandum sur l’organisation d’un régime d’union fédérale européenne » – rédigé par Alexis Léger8 – à 26 partenaires européens. Mais le projet est reçu avec réticence et reste lettre morte. La mort d’Aristide Briand le 7 mars 1932 scelle définitivement les espoirs précoces d’Union européenne ....

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 Loin de la légende, l’absence de prix Nobel de mathématique ne s’explique pas par une querelle amoureuse. http://blogs.rue89.com/mon-oeil/pourquoi-pas-un-nobel-de-maths-une-fausse-histoire-de-cul

2 http://www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=1211

3 Le Plan Dawes est adopté à Londres en août 1924. Il prévoit l’aménagement des paiements allemands jusqu’en 1929 grâce à des prêts essentiellement américains. Cela permet alors à la France de payer elle-même ses dettes aux Etats-Unis (accord Mellon-Béranger en 1926).

4 « La conférence de Locarno s’ouvrira aujourd’hui à 11 heures », Le Figaro, 72e année, n°278, 5 octobre 1925, p. 1 et, « La conférence germano-alliée de Locarno », Le Temps, n°23441, 17 octobre 1925, p. 1.

5 « L’Allemagne a pris place dans l’Assemblée des nations », Le Petit-Parisien, n°18092, 11 septembre 1926, p. 1.

6 « Le prix Nobel vient d’être attribué », L’Ouest-Eclair, n°9180, 11 décembre 1926, p.1. A. Chamberlain et C. Dawes reçoivent ce même jour le prix Nobel 1925.

7 « M. Briand soulève d’unanimes acclamations en parlant de « la paix dans la sécurité », Le Petit-Parisien, n°19183, 6 septembre 1929.

8 Connu en tant qu’écrivain sous le pseudonyme Saint-John Perse.