Panique au cinéma

En ce dimanche 12 avril 1931, c’est le pire scénario catastrophe imaginable qui se joue au cinéma Omnia-Pathé de la place du Carthage, à Rennes. On sait cette ville durablement marquée par les incendies dramatiques et sans doute est-ce pour cela que les spectateurs sortis prendre l’air lors de l’entracte ne tardent pas à réagir lorsqu’ils aperçoivent des flammes jaillir d’un bâtiment voisin. Plus tard, l’enquête pourra établir que c’est d’une boulangerie mitoyenne, vraisemblablement à la suite d’un court-circuit sur un pétrin électrique, que part le sinistre.

Carte postale. Collection particulière.

Mais en ce 12 avril 1931, l’urgence est de combattre le feu dans ce quartier de l’hyper-centre de Rennes, certes situé tout près de la Vilaine mais à l’habitat très dense, ce qui implique d’importants risques de propagation. Il est alors 21 h30 et deux heures plus tard, à en croire le journaliste de L’Ouest-Eclair qui rapporte les faits, le cinéma « n’a plus que ses quatre murs » : « La coupole s’est effondrée dans un grondement de tonnerre et les pompiers et les pompiers impuissants à réduire le formidable brasier doivent se contenter de protéger les abords »1.

Mais il y a pire encore. Comme dans tout bon – ou moins bon d’ailleurs – film catastrophe, les flammes ne suffisent pas et il faut des victimes innocentes captives du sinistre. Ce soir-là, les héros prennent le visage de quatre jeunes scouts « qui revenaient d’une sortie dominicale » : munis de leur seul lasso (!) ils organisent une exfiltration en rappel d’une femme et de son bébé de quatre mois, prisonnier d’un immeuble adjacent en flammes. Quelques instants plus tard, c’est un couple endormi ainsi qu’une veuve qui sont sauvés par trois personnes venues s’assurer que l’immeuble était bien vide…

Les quatre jeunes scouts posent triomphalement dans L'Ouest-Eclair le 14 juin. Archives Ouest-France.

Malgré les efforts des pompiers et les remarquables actes de bravoure de certains rennais, il n’y a rien à faire, les flammes ne cessent de progresser. La situation est telle que l’on craint désormais une extension du sinistre à la rue Saint-Yves, puis à celle du Chapitre, une zone qui, ironie de l’histoire, est épargnée lors du grand incendie de 1720. Alors que les forces de l’ordre évacuent les habitations menacées, la foule, comme toujours, se précipite pour observer le terrible fait divers.

L’incendie est d’une telle vigueur que L’Ouest-Eclair ne peut le lendemain en donner qu’un compte-rendu provisoire, tenu par ses contraintes de bouclage. Il faut attendre l’édition du 14 avril2 pour apprendre que ce n’est finalement que vers 3 heures du matin, soit six heures après l’alerte, que les pompiers parviennent à prendre la mesure de l’incendie. Ce jour-là, le journal s’étend longuement sur les ravages des flammes, reflet à la fois de la violence de l’incendie mais aussi d’une mémoire collective locale très sensibilisée à cette question. L’article ne débute-t-il d'ailleurs pas par cette assertion : « Pour retrouver le souvenir d'un incendie aussi effrayant, il faut remonter de plusieurs années en arrière, se remémorer l'incendie de la caserne Saint-Georges en août 1921 et de l'Hôtel de Ville en 1920 » ? Et le quotidien d’égrener les immeubles dévastés par cet incendie et de s’inquiéter du sort des familles qui, ce soir-là, ont tout perdu.

Le cinéma ravagé par les flammes. Archives Ouest-France.

Les conséquences matérielles de ce drame sont évidemment très importantes et il n’est pas besoin d’insister ici sur le bilan humain qui aurait pu être bien plus lourd puisque seul un pompier est légèrement blessé dans cet incendie. Mais du point de vue culturel, ce sinistre est terrible. En effet, comme le rappelle L’Ouest-Eclair, « c'est l'un des plus vieux quartiers de Rennes qui disparaît. Le Cinéma de l'Omnia-Pathé constituait l'une des curiosités architecturales de notre ville et l'imposante coupole qui couronnait sa toiture était une véritable merveille. Ancienne chapelle des Filles du Calvaire, la salle de l'Omnia avait été restaurée tout dernièrement, mais on avait conservé à l'intérieur des motifs de décoration qui faisaient l'admiration des connaisseurs, amateurs de vieilles choses ».

Erwan LE GALL

1 « La salle du cinéma Omnia en feu », L’Ouest-Eclair, n°12576, 13 avril 1931, p. 5.

2 « Après l’incendie de la place du Calvaire », L’Ouest-Eclair, n°12577, 14 avril 1931, p. 6.