Doumer président !

Inscrite en en caractères gras, la nouvelle barre la « une » de l’édition du 14 mai 1931 de L’Ouest-Eclair : Paul Doumer est élu président de la République ! Si ce nom est aujourd’hui sorti des mémoires, il est pourtant très familier aux lecteurs bretons. Né en 1857 dans le Cantal dans une famille modeste, Paul Doumer est l’exemple même de la réussite par l’école : devenu professeur de mathématiques en 1877, il quitte l’enseignement quelques années plus tard pour travailler dans la presse puis, en 1885, se lancer en politique. Député de la gauche radicale en 1888, il devient ministre des finances en 1895, poste qu’il réoccupera en 1921 puis en 1925, préside l’Assemblée nationale en 1905 puis le Sénat en 1927.

Lors d'une manifestation officielle à Paris en 1931, le Président de la république Paul DOumer que suivent Pierre Laval et Philippe Pétain. Carte postale. Collection particulière.

Pour Paul Doumer, cette victoire est le couronnement d’une très longue carrière politique. Certes, cette élection, au suffrage indirect faut-il le rappeler, n’a pas la même importance sous la IIIe république que sous la Ve. D’ailleurs, c’est sous la présidence de Paul Doumer que l’expression « inaugurer les chrysanthèmes » semble se populariser, ce qui dit bien l’étendue réelle des pouvoirs du locataire de l’Elysée. Mais la désignation d’un nouveau Président reste un évènement et la presse bretonne se montre de ce point de vue à l’image de L’Ouest-Eclair. Si la victoire de Paul Doumer n’est pas la seule nouvelle annoncée par La Dépêche de Brest, elle reste toutefois l’information essentielle de cette édition. Là encore, la chose n’est pas nouvelle puisque, déjà, en 1913,  l’élection de Raymond Poincaré à la Présidence de la République fait les gros titres de la presse bretonne.

Pourtant, il est évident qu’en 1931, si tous les journaux accordent une grande importance à ce scrutin, tous n’ont pas les moyens de traiter l’information à la même vitesse. A Saint-Brieuc, si l’édition datée du 16 mai 1931 du Moniteur des Côtes-du-Nord ne dit rien du scrutin, c’est parce que le résultat tombe alors que l’hebdomadaire est sous presse. Aussi ce journal se contente-t-il d’un bienveillant portrait la semaine suivante, article rappelant que le nouvel élu est le père de huit enfants dont trois fils morts pour la France pendant la Première Guerre mondiale et que son épouse, Blanche Richet, est la fille du directeur du Démocrate, organe des républicains des Côtes-du-Nord publié à la fin des années 1890. A Lorient, l’édition du 14 mai 1931 du Nouvelliste du Morbihan ne peut faire autrement que de titrer sur le ballotage opposant Paul Doumer – qui n’est en effet élu qu’au second tour – à une autre grande figure de l’histoire politique de la première partie du XXe siècle, le Nantais et lauréat du prix Nobel de la paix Aristide Briand.

Carte postale publicitaire. Collection particulière.

Ce n’est finalement que dans le numéro suivant, daté du 16 mai, que le journal morbihannais peut titrer, non sur la victoire de Paul Doumer, mais sur « les conséquences de l’échec de M. Briand ». Et c’est là d’ailleurs une dimension qui frappe le lecteur du XXIe siècle, volontiers prompt à considérer cette élection à la Présidence de la République comme négligeable : loin de considérer ce scrutin comme purement honorifique, la presse croit au contraire y déceler de grands enjeux. Ainsi, pour le Nouvelliste du Morbihan, «  la victoire de M. Briand eut été une victoire de la politique internationale de la paix » tandis que Paul Doumer symbolise « la victoire internationale du nationalisme ». Au contraire, à Nantes, L’Echo de la Loire se satisfait du résultat de l’élection en ce qu’elle pourrait signifier la fin de la « déjà trop longue et néfaste carrière politique » d’Aristide Briand.

On le voit, si la IIIe république est par définition parlementaire, il ne faudrait pas pour autant en conclure que le scrutin présidentiel est tenu comme étant sans enjeux pour les contemporains. Bien au contraire. Mais le paradoxe dans le cas de l’élection de Paul Doumergue est que le nouvel élu s’attache de suite à incarner une présidence moins politique et plus morale, comme s’il s’apprêtait à cultiver lui-même les chrysanthèmes qu’il serait amené à inaugurer.

Erwan LE GALL