Pédagogie et fêtes patriotiques

On sait que les diverses cérémonies organisées en Ille-et-Vilaine en août et septembre 1919 à l’occasion du retour des régiments sont le moment d’une certaine pédagogie de la victoire du droit, comme si trop douloureuse, la guerre avait perdu son sens1. Or, il est intéressant de voir en quoi les deux grandioses journées de « fêtes patriotiques » organisées à la fin du mois de novembre 1922 à Rennes, dont le point d’orgue est assurément la visite du maréchal Franchet d’Espèrey, semblent participer, au moins pour partie, d’un semblable élan.

Le général Passaga et le maréchal Franchet d'Espèrey passent en revue les drapeaux des anciens combattants. Photographie publiée dans L'Ouest-Eclair le 27 novembre 1922. Archives Ouest-France.

L’arrivée d’une délégation « interalliée » en la gare de Rennes est ainsi l’occasion d’une profusion de symboles qui ne doivent pas tromper. Il en est ainsi des drapeaux « aux couleurs tchécoslovaques, anglaises, belges, américaines et italiennes » qui décorent les lieux et rappellent l’Union sacrée entre les alliés. Il en est également ainsi des deux « Madelon » convoquées pour l’occasion, l’une en costume alsacien, comme pour suggérer un des buts de la guerre, l’autre en bretonne, comme pour mieux rendre hommage à ceux qui ont pris part à ce conflit. Tradition locale oblige, les honneurs sont d’ailleurs rendus par une compagnie du 41e régiment d’infanterie de Rennes ce qui, là encore, n’est pas sans dimension symbolique. A ce tableau déjà bien complet, mentionnons le rôle de deux « demoiselles d’honneur » dont l’une, Yvonne Matringhen, est une blessée de guerre originaire du Nord.

S’il est difficile de résumer cette première journée, abondamment narrée dans les colonnes de L’Ouest-Eclair, deux thématiques paraissent toutefois être soulignées. La première est la construction d’un lien particulier avec la Belgique, lien forgé sur le souvenir des combats de l’été 1914, mais aussi de Dixmude et de l’Yser, ainsi que sur une vision édulcorée de l’accueil des réfugiés. Or cette proximité franco-belge n’est pas neutre puisqu’elle sert de support à la revendication exprimée de voir des anciens combattants représentés « dans toutes les grandes conférences où sont en jeu les destinées du monde ». Ici, la dimension « interalliée » de ces « fêtes patriotiques » doit sans doute se comprendre dans le cadre du mouvement internationaliste et profondément pacifiste qui conduit à la création de la Société des Nations.

L’autre thématique qu’il importe de conserver en mémoire à propos de ces manifestations concerne incontestablement l’Alsace, objet d’une véritable pédagogie qui n’est pas sans interpeller. Ainsi ce propos de Mlle Lang, Madelon alsacienne dont il fut question plus haut, qui interviewée par L’Ouest-Eclair lors du bal donné place des Lices par l’Union nationale des combattants déclare :

« Je suis infiniment touchée de l’accueil qui nous a été réservé dans votre ville. Certes, le plus beau jour de ma vie a été celui où les poilus pénétrèrent en notre ville de Strasbourg ; l’accueil chaleureux que j’ai reçu en Bretagne ne pourrait que me faire aimer davantage – si c’était possible – notre beau pays de France. »

Les Madelons de Strasbourg et de Rennes. Photographie publiée dans L'Ouest-Eclair le 27 novembre 1922. Archives Ouest-France.

Mais la journée qui suit, marquée par la réception du maréchal Franchet d’Espèrey à Rennes, n’est elle aussi pas exempte de symboles intéressants. Ainsi, la liste impressionnante des personnalités politiques venues accueillir l’illustre ancien commandant en chef des armées alliées en Orient n’est pas sans rappeler, de manière subliminale, l’Union sacrée. Bien entendu, tout cela reste subtile, relativement discret. Mais il convient pour autant de ne pas s’y tromper. Patriotiques, ces fêtes du souvenir ne sont pour autant pas dénuées de sens politique. Et c’est d’ailleurs ce que rappelle sans détour Louis Franchet d’Espèrey dans le cabinet du Maire de Rennes, Jean Janvier : « J’espère qu’après les dures années que nous venons de vivre, chacun aura à cœur de respecter la discipline sociale ». Une phrase qui permet de comprendre tout le caractère pédagogique de ces fêtes patriotiques.

Erwan LE GALL

 

1 LE GALL, Erwan, « Le retour des fils de la vieille terre bretonne : quand les régiments retrouvent leurs garnisons d’Ille-et-Vilaine à l’été 1919 », in JORET, Eric et LAGADEC, Yann (dir), Hommes et femmes d'Ille-et-Vilaine dans la Grande Guerre, Rennes, Conseil général d’Ille-et-Vilaine, 2014, p. 289-299.