Quand Saint-Brieuc devance Monaco : la coupe Florio

La Bretagne n’est assurément pas une terre de course de voitures.  Si les Doughboys présents à La Baule transforment en 1919 la célèbre plage en circuit, comme à Daytona en Floride, la péninsule armoricaine ne brille pas par ses grands événements automobiles, à l’exception peut-être des épreuves de rallycross disputées depuis la mi-temps des années 1970 à Lohéac. Faut-il y voir l’ombre portée des célébrissimes 24 heures du Mans ? Peut-être, car la coupe Florio disputée à Saint-Brieuc le 17 juillet 1927 rappelle que le chef-lieu du département des Côtes-du-Nord accueille un circuit automobile en ville… deux ans avant que ne soit imaginé celui de Monaco !

Le modèle vedette de Peugeot dans cette coupe Florio: la 18 chevaux sans soupape. Collection particulière.

En effet, le circuit conçu spécialement pour cette épreuve mesure plus de 13 kilomètres et traverse Trégueux, Langueux et Yffiniac via la nationale 12, et donc Saint-Brieuc jusqu’au virage du Gouëdic. Les véhicules engagés – parmi lesquels des autos de marque Talbot, Peugeot mais aussi Bugatti – peuvent frôler les 200 kilomètres par heure en pointe et le journaliste de L’Ouest-Eclair embarqué sur un de ces bolides pour quelques tours d’essais ne se prive pas de livrer aux lecteurs bretons les fortes sensations éprouvées :

« Nous grimpons à belle allure la cote de Beaufeuillage ; le passage à niveau est franchi sans heurt… nous filons sur Langueux, sur les côtés, arbres, barrières, maisons et spectateurs semblent fuir dans une ronde endiablée. Je regarde le compteur de vitesse : nous roulons à plus de cent à l’heure… lorsque, à la sortie de Langueux, nous abordons la ligne droite qui passe devant les tribunes. Imbert accélère encore… devant mes yeux, l’aiguille du compteur de vitesse danse… et je lis… 103.., 105.., 110…, 120…,  140…, 160
195 !!! (j’en blêmis encore) c’est notre maximum ; nous l’atteignons juste au moment où nous passons devant les tribunes. Moins de huit cent mètres plus bas, c’est le virage d’Yffiniac… »1

La compétition est un « formidable succès » et L’Ouest-Eclair n’hésite pas à affirmer qu’on « évalue à plusieurs centaines de mille le nombre de spectateurs venus de tous les points du monde assister à cette magnifique épreuve ». Dans les tribunes, les personnalités se pressent : des parlementaires, des officiers généraux et toute une foule accourue sous un soleil plomb pour voir les bolides avaler l’asphalte2.  A dire vrai, seules manquent les starlettes en train de siroter une coupe de champagne sur le pont d’un yacht amarré dans le port du Légué pour que cette coupe Florio préfigure totalement le grand-prix de Monaco !

Laly, le vainqueur de l'édition 1927 de cette coupe Florio disputée à Saint-Brieuc, dans la catégorie des moins de 3 000 cm3. Carte postale. Collection particulière.

Comme bien des épreuves sportives rencontrant un très vaste succès populaire, cette compétition dépasse très allègrement le seul cadre de la course automobile. Dans cette Bretagne du milieu des années 1920, confrontée au défi la modernité, de l’exode rural et de la mécanisation des cultures, la coupe Florio est un véritable symbole et Paul Léry, dans les colonnes de L’Ouest-Eclair, n’hésite pas à le relever. Mais sa plume montre que la modernité, ici, n’est pas que technique. C’est en effet bien la figure de Violette Morris qui semble captiver le reporter, la plantureuse vainqueur du Bol d’or à la bisexualité affichée faisant à n’en pas douter souffler un vent d’inédit, et de souffre, dans la cité du Griffon3.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 THOLOME, Jehan, « Un de nos rédacteurs tourne avec Imbert et donne ses impressions », L’Ouest-Eclair, 28e année, n°9397, 17 juillet 1927, p. 1-2.

3 L’Ouest-Eclair, 28e année, n°9398, 18 juillet 1927, p. 1.

3 LERY, Paul, « La coupe Florio en Bretagne », L’Ouest-Eclair, 28e année, n°9397, 17 juillet 1927, p. 1.