| Le grand prix de La Baule Les 500 miles d’Indianapolis  comptent certainement parmi les courses automobiles les plus célèbres au monde.  L’édition disputée le  31 mai 1919 ne  déroge pas à cette règle même si elle ne se nomme pas ainsi mais « Course  de la Liberté », ce qui bien entendu n’est pas anodin à quelques semaines  de la signature du traité de Versailles. Néanmoins, si la compétition est  remportée cette année-là par Howdy Wilcox à bord d’une … Peugeot1, ce n’est pas dans les plaines de l’Indiana que se déroule la plus acharnée des compétitions  automobiles du moment. Quelques jours plus tôt, en  effet, le préfet de Loire-Inférieure autorise l’organisation par le commandant  de la base américaine n°1, dont le quartier général est situé à Saint-Nazaire,  de courses automobiles sur la plage de La Baule2.  Si cette requête est sans doute inédite en France, une telle pratique est déjà  ancienne aux Etats-Unis comme en témoignent les épreuves de Daytona Beach, en  Floride, disputées depuis 1902. Les courses ont lieu en journée sur toute la  longueur de l’immense plage de la célèbre station balnéaire, du Pouliguen à  Pornichet, et l’arrivée est jugée en face du Grand Hôtel, alors reconverti en hôpital pour les blessés du corps expéditionnaire  américain. Annonçant l’événement, la presse locale précise que « toutes  les mesures de sécurité seront prises pour protéger le public qui d’ailleurs  n’aura pas accès sur la plage »3.  Si une telle décision peut  aujourd’hui étonner à une époque où la « loi littoral » garantit l’accès  de tout un chacun à la mer et se double de mesures de préservation de  l’environnement, cette compétition ne doit en réalité rien au hasard. Le mois  de mai 1919 correspond à en effet à une période d’entre-deux. Si l’Armistice  est signé depuis plus de 6 mois, la paix ne l’est pas encore : le traité  de Versailles n’est paraphé que le 28 juin 1919 et, juridiquement, la  paix n’entre en vigueur qu’au début de l’année 1920. En conséquence,  la démobilisation est loin d’être encore achevée et nombreux sont les hommes  encore sous les drapeaux, qu’il s’agisse de poilus ou de doughboys qui, tous, ont le mal du pays et veulent rentrer le plus  rapidement possible dans leurs foyers. Dans ces conditions, l’encadrement  comprend très vite tout l’intérêt qu’il y a à fournir aux hommes des loisirs,  afin que la nécessaire discipline militaire soit mieux acceptée.  Mais là n’est pas l’unique raison de ce qui  s’apparente à un véritable « Grand prix » avant l’heure, la station  balnéaire accueillant d’ailleurs une telle épreuve au cours des années 1920 et  1930. Le 31 mai 1919 n’est en effet pas une date anodine mais celle du Mémorial Day, jour d’hommage aux morts  des forces armées américaines. Un rapide coup d’œil à l’actualité du moment  permet d’ailleurs de remarquer que les courses de La Baule ne sont pas la seule  manifestation organisée pour l’occasion. Sur la plage de  Saint-Nazaire, ce sont des courses de natation  et des matchs de water-polo qui sont organisés4. Dans  l’Est de la France, une course – à pied – de relais est ainsi organisée la  veille par le corps expéditionnaire entre Château-Thierry et Paris. Loin de se  limiter à un exploit sportif, cet événement emprunte sans s’en cacher aux  symboles de l’antiquité puisque le dernier coureur est chargé de donner au  général Pershing en personne, sur le perron du célèbre hôtel de Crillon, une  copie du message annonçant la victoire acquise un an auparavant à  Château-Thierry par les soldats américains5.                                         
                                          
                                            |  |  
                                            | A marée basse, la mer découvre une immense plage, constituat un étonnant circuit automobile. Collection particulière. |  En d’autres termes, ces courses  automobiles sont un moyen de divertir les hommes tout en leur rappelant  pourquoi ils ont combattu et se trouvent si loin de leurs familles, le tout en  maintenant la discipline. Il est en effet plus difficile de faire respecter les  nécessaires rigueurs militaires lorsque la guerre est gagnée, ou tout du moins  comprise comme telle. Occuper de la sorte les hommes reste le meilleur moyen de  les éloigner des dangers potentiels de l’alcool et de la prostitution. Et l’on  peut sans doute mesurer l’efficacité de cette politique au nombre de doughboys requis pour l’occasion :  des pilotes bien entendu mais aussi de nombreux mécaniciens, nécessairement  moins occupés depuis l’arrêt des combats. C’est ce que rappelle l’exemple du  caporal Harry L. Lathrop. Originaire du Connecticut, sur la côte ouest des  Etats-Unis, il est mobilisé le 20 septembre 1917. D’abord affecté à un régiment  du train, il intègre ensuite un atelier mobile de mécanique automobile. Parti  pour l’Europe en juillet 1918, de Montréal, il stationne quelques temps en  Angleterre puis débarque en France, par Cherbourg afin d’être affecté à  l’arrière-front de la redoutable bataille que le corps expéditionnaire mène sur  le saillant de Saint-Mihiel. Finalement affecté dans l’un des « motor  camps » de Saint-Nazaire où il répare de tracteurs destinés à être  réexpédiés aux Etats-Unis, il est lui-même sélectionné pour participer à cette  course qui, assurément, mérite l’appellation de « Grand Prix de La Baule »…6 Erwan LE GALL     1 « Le Meeting d’Indianapolis », L’Ouest-Eclair, 20e année, n°7234, 2 juin 1919, p. 2 et « A  Indianapolis », Le Petit Journal, 57e année, n°20 611, 2 juin 1919, p. 2.  2 Arch. Dép. Loire-Inf. : 8 R 17, Le préfet de Loire-Inférieure au  sous-préfet de Saint-Nazaire, 21 mai 1919. 3 « Les Courses d’auto américaines », L’Ouest-Eclair, 20e année, n°7238, 30 mai 1019, p. 3. 4 « Les Américains sur la plage », L’Ouest-Eclair, 20e année, n°7237, 29 mai 1919, p. 3. 5 « Château-Thierry à Paris (par relais) », L’Ouest-Eclair, 20e année, n°7239, 31 mai 1919, p. 4 et  « L’arrivée de la course de Château-Thierry à Paris par relais », L’Excelsior, 10e année, n°3 114, 31 mai 1919, p. 1. 6 « Corporal Lathrop Saw Long Service Overseas », Norwich Bulletin, Vol. LXI, n°184, August 4, 1919, p. 7.  |