Quand Toutankhamon aide à vendre de l’apéritif

En tant que source, la presse prend parfois des tournures qui sont tout aussi piégeuses que révélatrices. C’est ainsi qu’un entrefilet de l’édition du 7 mars 1923 de L’Ouest-Eclair annonce la fermeture du tombeau du pharaon Toutankhamon, trésor archéologique découvert quelques semaines plus tôt par l’archéologue britannique Howard Carter. Toutefois, le grand quotidien breton croit bon de préciser qu’on « n’a pas encore pu recruter de gardes en raison des chaleurs estivales très déprimantes ». Le fabuleux trésor serait-il donc à la merci des pilleurs ? Heureusement non puisque que le journal précise qu’on « signale pourtant qu’un Rennais aurait offert de trouver des volontaires si on leur garantissait chaque jour un Dubonnet qui reconstitue »1.

L'entrée du tombeau de Toutankhamon. Carte postale. Collection particulière.

Farceur, cet entrefilet est particulièrement signifiant. Non seulement il démontre que les trésors d’imagination déployés par la réclame n’attendent pas l’ère du markéting mais il rappelle combien peut être libre, avant la loi Evin, la publicité pour les boissons alcoolisées : le Dubonnet dont il s’agit ici est un apéritif très prisé dans la France de la première moitié du XXe siècle. La marque est à l’époque très populaire et s’affiche ostensiblement dans l’espace public – comme en témoignait jusqu’en 2014 un célèbre mur de la place Sainte-Anne à Rennes – à la faveur d’une stratégie de communication pour le moins agressive.

C’est d’ailleurs en définitive ce qu’enseigne l’infomercial – si l’on nous autorise cet anachronisme – publié le 7 mars 1923 : si la marque réagit à cette actualité, c’est que l’égyptologie, et plus encore la découverte du tombeau de Toutankhamon, fascine, y compris dans cette Bretagne du début des années 1920. Ajoutons du reste que cette véritable passion n’est pas que masculine : c’est en capitalisant sur l’image de Cléopâtre qu’est vendue la crème Kijja, « remarquable secret de beauté arraché à la terre mystérieuse des Pharaons »2. Il est vrai que l’actualité scientifique est à l’époque assez riche puisqu’au même moment des fouilles sur le site antique de Pompéi produisent également d’intéressants résultats, ce dont ne manque pas de rendre compte la presse bretonne3.

La campagne de communication des apéritifs Dubonnet ne doit donc rien au hasard. Quelques semaines plus tôt, le 22 octobre 1922, L’Ouest-Eclair annonce « d’intéressantes découvertes » effectuées à Assouan et à Karnak4. Mais le meilleur est à venir, en provenance de… Londres. C’est en effet de la capitale britannique qu’est dévoilée le 1er décembre 1922 une nouvelle sensationnelle : « on retrouve intact le palais funéraire d’un roi mort il y a plus de 3 000 ans ». Point de Toutankhamon mais « le palais funéraire du roi Futankhamen, qui régna il y a environ 3 000 ans et appartenait à la 18e dynastie ». Il s’agit en réalité bien du même pharaon mais écrit avec une coquille : Futankhamen est en effet la version déformée du Tutankhamen anglais5.

Carte postale. Collection particulière.

On le voit la publicité des apéritifs Dubonnet montre combien cette entreprise sait surfer sur l’actualité pour assurer la promotion de ses produits. En cela, c’est un intéressant témoignage pour l’historien qui atteste de l’indéniable entrée dans une ère de la culture, et bientôt de la consommation, de masse6. Mais cette archive n’est pas que cela. En effet, les articles qui annoncent les découvertes archéologiques opérées en Egypte ne sont pas très importants en termes de taille, les médias français, dont L’Ouest-Eclair, ne disposant à l’évidence que de peu d’informations. La première page de l’édition du 17 décembre 1922 en est un bon exemple puisque ce n’est que 15 jours après l’annonce officielle qu’une première photographie des lieux est diffusée7. Or, en se basant uniquement sur la superficie des articles, on serait tenté de croire que la découverte du tombeau de Toutankhamon n’intéresse que peu les Bretons. La publicité Dubonnet invite en réalité à penser le contraire, puisque Pharaon semble même pouvoir faire vendre de l’apéritif.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

 

 

 

 

1 « Le Pharaon et le Rennais », L’Ouest-Eclair, 24e année, n°7824, 7 mars 1923, p. 2.

2 « Une formule de beauté d’il y a 200 ans », L’Ouest-Eclair, 24e année, n°7738, 11 décembre 1922, p. 6.

1 « Les grandes découvertes archéologiques », L’Ouest-Eclair, 24e année, n°7751, 24 décembre 1922, p. 1.

4 « D’intéressantes découvertes sont faites en Egypte », L’Ouest-Eclair, 24e année, n°7688, 22 octobre 1922, p. 2.

5 « Une sensationnelle découverte en Egypte », L’Ouest-Eclair, 24e année, n°7729, 2 décembre 1922, p. 2.

6 Sur la question, on se rapportera au classique KALIFA, Dominique, La Culture de masse en France 1860-1930, Paris, La Découverte, 2001.

7 L’Ouest-Eclair, 24e année, n°7744, 17 décembre 1922, p. 1.