Reconnecter la Bretagne et la Normandie pour dynamiser l’économie locale

La paternité du Mont-Saint-Michel, celle du cidre ou encore celle de l’andouille – précisons aux esprits chafouins qu’il s’agit bien là de la charcuterie… – sont à l’origine de nombreuses disputes entre les Bretons et les Normands. Mais il faut bien avouer que ces débats, aussi vifs soient-ils, relèvent davantage de la taquinerie que d’une véritable animosité entre ces proches voisins. Aucun ne vous dira le contraire : ces territoires sont complémentaires. Déjà, à la fin des années 1920, les acteurs économiques locaux regrettent que si « ces deux provinces se touchent », elles restent cependant séparées « par une sorte de muraille de Chine rendue presque infranchissable par des voies ferrées et des horaires qui ne correspondent plus aux exigences du trafic »1.

Le train au départ de la gare de Mûr-de-Bretagne. Collection particulière.

Du fait de son rayonnement sur les deux régions, L’Ouest-Eclair est sollicité par des « organismes intéressés » afin de « remettre sur le tapis » les problématiques soulevées par cette frontière finalement très, trop, hermétique entre Bretagne et Normandie. Selon le quotidien, il est nécessaire de prendre rapidement les mesures qui permettraient de mieux connecter ces deux territoires entre eux. Ce faisant, l’article nous offre un regard particulièrement éclairant sur les lacunes du trafic ferroviaire français à l’aube des années 1930. Et pour cause, bien que la concurrence entre les compagnies se soit apaisée depuis la fin de la Grande Guerre, le réseau souffre d’une conception initialement orientée vers Paris. Il converge en effet vers la capitale, constituant un modèle qui, ayant la forme d’une étoile, est attiré par le centre au détriment des liaisons intra-périphériques, d'une branche à l'autre en d'autres termes.

La capillarité superficielle du réseau secondaire provoque de nombreuses incohérences comme le déplore le journal breton. Ce dernier « croit rêver » en faisant le constat « qu'au siècle de l'automobile et de l'électricité, il faut plus d'une demi-journée à un voyageur pour se rendre de Rennes à Cherbourg ou à Caen, distant de 250 kilomètres »... Un comble lorsqu’on songe que le train de marées, au départ de Lorient, arrive à Paris en l’espace de « seulement » 12 heures2… L’efficacité avec laquelle est distribué le courrier n’est pas en mesure de rassurer le quotidien breton puisqu’une « lettre postée la veille » à Rennes n'arrive « que le lendemain dans l'après-midi à Saint-Lô, et le surlendemain dans la région du chef-lieu de la Manche »… (sic)

En gare de Rennes dans les années 1930. Collection particulière.

Conscient qu’une profonde et couteuse réforme du système ne peut être réalisée rapidement, L’Ouest-Eclair estime, malgré tout, que des mesures simples pourraient rapidement être mises en œuvre afin d’améliorer le réseau existant. Exemples à l’appui, il propose ainsi de mettre en circulation, sur les lignes secondaires, des automotrices dont « la vitesse horaire acquise de 50 kilomètres » serait « largement suffisante » pour « recoudre la frontière ». En somme, seules quelques améliorations « faciles à réaliser immédiatement » suffiraient à insuffler un véritable élan économique et à créer « des richesses » pour les deux régions. Or, si une décennie plus tard, la création de la SNCF permet de fluidifier le trafic, force est de constater que les lignes secondaires restent le parent pauvre du réseau des chemins de fer français. Ainsi, en 2019, il faut encore compter entre 4h28 et 6h44 pour effectuer un trajet Rennes-Cherbourg, et entre 3h32 et 4h27 pour un Rennes-Caen, soit le double d’un trajet en automobile3

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 « Les relations Bretagne-Normandie », L’Ouest-Eclair, 11 janvier 1929, p. 1.

2 Ici dans les années 1930. Sur ce point voir ROBERT-MULLER, Charles, (ouvrage terminé et complété par LE LANNOU, Maurice), Pêche et pêcheurs de la Bretagne Atlantique, Paris, Armand Colin, 1944.

3 Selon les horaires proposés pour le mardi 15 janvier 2019 via l’interface de réservation en ligne https://www.oui.sncf/billet-train