Nantes en guerreS

Cela faisait déjà plusieurs mois que nous souhaitions aller visiter l’exposition En guerres, 1914-1918 / 1939-1945, Nantes / Saint-Nazaire. L’impatience était d’autant plus grande que de nombreux impératifs de calendrier nous avaient obligé à repousser cette escapade nantaise. Les attentes étaient-elles dès lors trop grandes ? Peut-être… en attendant, en sortant de cette exposition c’est bien une certaine forme d’incrédulité qui domine.

Construite sur deux niveaux, l’exposition est basée sur un parcours chronologique qui guide le visiteur d’août 1914 à mai 1945. Or dans les faits, ce qui est montré nous semble doublement problématique.

Tout d’abord ce parcours chronologique est matérialisé par une frise, procédé classique mais ayant fait depuis longtemps ses preuves. Le problème est que dans cette exposition la frise est située très en hauteur, obligeant ainsi le visiteur, lorsqu’il l’a repérée, à constamment lever la tête alors que son regard aurait naturellement tendance à se porter à l’horizontale, pour admirer les objets présentés.

Mais là n’est sans doute pas le plus gênant puisque ce parcours chronologique se révèle être trop contraignant, jusqu’à se trouver en porte-à-faux avec la proposition muséographique. Ainsi le cartel daté du 6 septembre 1914, évocation de la première bataille de la Marne, se trouve illustré par une tenue bleu-horizon et un casque Adrian… éléments qui n’apparaissent qu’en 19151. Plus grave encore, cette contrainte chronologique pousse le propos à de regrettables contresens, comme avec cette remarquable affiche sur une exposition relative aux « Crimes allemands ». Intitulée « Souvenez-vous », elle est présentée dans le module 9 « La Guerre est finie ». Or cette affiche date non pas des années 1920 mais de mars 19182. Il en résulte qu’il ne s’agit pas là d’un vecteur de mémoire postérieur au conflit mais au contraire d’un outil de mobilisation patriotique en temps de guerre, produit d'une époque où le fléchissement des consentements observé en 1917 est encore très récent. Autrement dit, ce n’est pas de la guerre que cette affiche invite à se souvenir, mais bien des atrocités allemandes : celles d’août 1914 mais également la guerre sous-marine, la destruction de la cathédrale de Reims, du beffroi d’Arras, de la Halle aux blés d’Ypres ou encore l’utilisation de gaz lors l’attaque d’avril 1915, soit autant d’éléments attestant alors, selon les termes d’une certaine culture de guerre, la barbarie de l’ennemi. Ici les atrocités sont donc moins les méfaits de la guerre qu’au contraire un cadre de compréhension donnant à cette dernière du sens3.

En définitive, c’est cette perspective chronologique qui, dans son ensemble, nous semble être un choix discutable. Sans doute une optique thématique et puissamment comparative se serait ici révélée plus évocatrice pour le grand public. En effet, commissaire de l’exposition, Krystel Gualdé explique avoir « voulu montrer que ces deux conflits étaient différents l’un de l’autre, et qu’il ne s'agissait pas d'une seule et même guerre » Or justement, il nous semble que l’on aboutit au résultat inverse puisque la proposition muséographique parait insuffisamment différenciée suivant les deux conflits et que, de surcroît, nombreux sont les items qui se font échos, sans pour autant être suffisamment contextualisés et, in fine, distingués. Il en est ainsi des tickets de rationnement, présents lors des deux conflits, de l’implication américaine ou encore des affiches apposées par les Maires de Nantes dont le graphisme est très proche mais qui s’intègrent pourtant dans des conflits où la dimension idéologique est foncièrement différente.

C’est d’ailleurs là au final que l’exposition se révèle sans doute la plus critiquable, dans son défaut de contextualisation des items présentés. Cela est notamment le cas des deux films qui, habillement placés dans ce qui s’apparente à des cabines d’essayage afin de ne pas heurter le plus jeune public, concluent les modules dévolus à la répression de la Résistance et à la Destruction des Juifs d’Europe. Ces deux vidéos sont très comparables puisqu’il s’agit d’extraits des actualités filmées tournées l’un au moment de la libération de Dachau, l’autre de Bergen-Belsen. Or, justement, ce  manque de dissemblance nous semble ne pas suffisamment insister sur la dichotomie essentielle entre déportation de répression et de persécution, pourtant établie depuis longtemps par l’historiographie.

Dès lors, pourquoi évoquer ici en ces pages cette exposition et, plus encore, y inciter à la visiter ? Tout d’abord parce que la position de critique est éminemment confortable et que nul ne doit minimiser les difficultés qu’implique la conception d’une exposition portant sur les deux conflits mondiaux, sans tomber dans le piège de la guerre européenne de trente ans. Ensuite parce qu’au-delà de tous ces défauts, cette exposition présente une collection d’objets absolument remarquable qui, à eux seuls, méritent le déplacement (on profitera d’ailleurs de l’occasion pour souligner qu’à 5,00€ l’entrée, cette exposition nous parait être accessible au plus grand nombre, ce dont on ne peut que se satisfaire). Pêle-mêle citons un décor utilisé par le théâtre aux armées du 81e régiment d’infanterie territoriale, splendide rideau signé du Nantais Henri Nozais, mais encore des chaises roulantes de mutilés, un film montrant Guy La Chambre en mai 1939 visitant l’usine aéronautique de Bouguenais, des éléments de vaisselle aux couleurs de la Kiergsmarine… Ce sont ces objets exceptionnels, et pour une part complètement inédits, qui justifient d’ailleurs amplement l’acquisition du catalogue de l’exposition, beau livre au prix lui aussi largement accessible pour une publication de cette nature.

Erwan LE GALL

1 Ce cartel n’est d’ailleurs pas sans poser quelques problèmes puisqu’il indique que la guerre de tranchée après le 13 septembre, sous-entendu immédiatement après. Un tel propos nous semble faire peu de cas de la Course à la mer à laquelle participe pourtant le XIe corps, comme le rappelle l’historique du 64e RI d’Ancenis : « Retiré de la bataille, le 64e va pouvoir respirer et panser ses plaies ; mais ce sera dans le train qui l’emporte vers le nord. Dans les deux camps, c’est la course à la mer ; le régiment comprend qu’il faut arriver vite et se battre encore et arrêter l’envahisseur vers la mer comme à la Marne ». Anonyme, Historique sommaire du 64e régiment d’infanterie, Paris, Charles Lavauzelle, 1920, p. 5.

2 On remarquera que dans le catalogue, si cette affiche est présentée dans la partie La guerre est finie, elle est tronquée de manière à ce que l’on ne puisse pas lire la date.

3 HORNE, John et KRAMER, Allan, Les Atrocités allemandes, Paris, Tallandier, 2005, p. 329-330.